[LITTÉRATURE] Si tu veux l'arc-en-ciel, tu dois supporter la pluie

Le premier mois de relation est passé. Déjà. Est-ce bon signe ? Seito n'en a aucune idée. Il croit que oui mais il n'en est pas certain. A vrai dire, il ne s'en soucie pas vraiment. Sans doute parce qu'il a l'impression que Mathéo a toujours été à ses côtés. Ce qui est en parti le cas. Seulement, l'étudiant n'était pas plus qu'un senpai de club. Alors que maintenant, Seito se doit de faire attention à ce qu'il dit, à ce qu'il fait, à ce qu'il pense. Exercice peu fréquent de sa part et qui lui demande de l'ajustement. Sans pour autant changer ce qu'il est – qui le pourrait ? – il réalise vouloir que les mois s'étirent. Mathéo le fait sourire. Le temps qu'ils passent ensemble lui est précieux. Oh bien sûr, le japonais est loin d'être parfait. Divulguer leur secret alors même que Mathéo lui avait dit de se taire n'était pas l'idée du siècle. Mais depuis, il s'est excusé. Seules deux personnes sont au courant. Ses deux amis proches devaient savoir. Car oui, depuis la fin du mois, il peut de nouveau affirmer qu'il a deux amis. Il leur faudra du temps, à Pablo comme à lui, mais ils ont aplani les angles. Et Seito se sent léger. Vraiment léger.

Pour couronner le tout, il a accompli la première étape de son plan. Il avait sondé les membres du club de littérature pendant tout le mois d'avril. S'était investi davantage pour prouver sa valeur. Avait animé les séances en amenant régulièrement des sucreries et autres joyeusetés. Présent le mardi toutes les semaines et quelques fois le jeudi si le kyudo ne l'inspirait pas. Sa régularité avait été récompensée. En ce début du mois de mai, il est officiellement le président du club de littérature. Et, bien que cela ne casse pas trois pattes à un canard, Seito est on ne peut plus heureux. Par mesquinerie, il éprouve une certaine hâte à communiquer la nouvelle à ses parents. Voyez par vous-mêmes si mon choix de carrière me passera ! L'ancien président avait profité de cette séance pour l'annoncer officiellement à tous les membres. Le lycéen avait réitéré ses vœux d'une tenue impeccable et d'une année formidable en belle compagnie romanesque. Il avait d'ailleurs préparé une liste de lecture et l'avait soumis au groupe pour approbation. Jusqu'à ce que la sonnerie retentisse, ils avaient argumenté et la liste avait été modifiée en fonction des goûts de chacun.

Fier de ce premier échange réussi en tant que président, Seito range tranquillement son sac. En charge de la clé, il doit attendre que les derniers s'en aillent pour fermer la porte. Alors il prend son temps. Sans réellement s'apercevoir que Wayne-senpai en fait autant. Jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que tous les deux. Une fois de plus. Le japonais finit par le remarquer en relevant la tête et lui demande aussitôt :

« Tu avais quelque chose à m'dire ? Une suggestion ou t'as pensé à un autre livre qu'il serait cool de lire ? »

Seito aurait dû se douter que ce « Président ? » à demi-susurré n'augurait rien de bon. Après tout, il s'agit de Wayne-senpai. Et ses intentions, bien que parfois nobles, le sont rarement à son égard. Pourtant, il n'a eu de cesse de vouloir redorer son blason auprès d'elle depuis l'incident de la bibliothèque. Mais sa rancune est tenace. Et il la comprend. Elle avait écopé d'une suspension temporaire. Il y avait de quoi lui en vouloir. Une petite suggestion supplémentaire ne peut pas faire de mal. Au pire, il lui répondra simplement qu'il note l'idée et qu'il y réfléchira à tête reposée. Oui, c'est une excellente idée.

Alors, insouciant du danger, le japonais se rapproche du livre que lui tend la senpai. Ses doigts s'accrochent à la tranche, il le prend entre ses mains. Et déchante. Un souvenir fugace de la Golden Week en compagnie de Pablo refait surface. Ses yeux s'écarquillent de stupeur tandis que la blonde confirme ses soupçons. Nul besoin de l'entrouvrir pour savoir si ce qu'elle dit est vrai. Il pose deux secondes les yeux sur la couverture et détourne aussitôt le regard pour inspecter qu'il n'y a réellement plus personne à part eux. Ses doigts se resserrent sur le tome.

« Pour commencer quoi ? » demande-t-il abruptement.

Trop frontal. Merde, il doit lui parler plus poliment. Seito ravale son venin et inspire un bon coup. Elle choisit de le provoquer. Fort bien. Que pense-t-elle en tirer ? Il n'en a aucune idée. Mais il peut au minimum se montrer plus aimable. Il décide donc d'aborder le sujet de la manière la plus terre-à-terre possible. Soit en imaginant que ce livre est réellement une proposition de lecture.

« Je suis pas sûr que tout le monde apprécie ce genre de lecture. Et puis, y'a plus d'images que d'texte. Alors je pense pas qu'on aura beaucoup de choses à commenter dessus. Après j'dis pas que les mangas, c'est pas de la littérature, hein. Juste le sujet me paraît un peu... compliqué à aborder. Tu comprends ? »

Lui vivant, jamais un livre ne sera brûlé devant ses yeux. Déjà qu'il milite pour les marque-pages tant il est horrifié par les animaux qui cornent leurs livres. Aucun livre, même mauvais, ne mérite de finir en cendres. D'où son regard outré à la simple mention de ce crime. Regard qu'il maintient en alerte alors qu'il essuie une deuxième tentative d'intrusion. Seito peut mettre du temps à percuter sur certains sujets et là, en l’occurrence, il s'est mis à table pour un très long repas.

« Je dis pas que ça me dérange, juste que c'est sûrement pas aux goûts de tout le monde. » tente-t-il d'amener avec diplomatie.

Mais il est désarçonné par la remarque qui suit. Le doute suinte sur sa peau, recherche une brèche pour mieux l'alourdir. Le japonais sent qu'il a encore de la place pour une ribambelle de desserts. Alors il s'engouffre dans le plus évident. Le glaçage de la raison lui irrite le palais.

« On a que le club de littérature en commun. A moins que tu te sois inscrite au foot ou au kyudo et j'suis pas au courant ? »

Bon sang, il ne l'espère pas. Quoi qu'imaginer la blonde s'énerver devant sa cible lui soutirerait un sourire. Plus il réfléchit à ce qu'elle sous-entend, plus son cerveau lui fait signe qu'il lui manque une donnée. Comme la pièce manquante d'un puzzle de dix mille pièces. Une sensation de déjà-vu qui lui file des frissons.

Mais c'est justement son rôle de se soucier des autres s'il veut être élu président. Seito pince les lèvres. Le doute déjà présent s'intensifie au point qu'il devient omniprésent dans sa petite tête. Qu'est-ce qui est à son goût ? Le yaoi ? Un bref regard sur le manga, il déglutit. OK, il fait face à un problème de taille. Parce que soudain il percute. L'histoire de club. Bordel. Elle mentionne sa bourde de la dernière fois. Et lui a sauté dedans à pieds joints. Il a juste envie de crever. Le japonais est tellement perdu dans les méandres de sa débâcle qu'il entend à peine l'insulte de la blonde. Aucun des membres du club de foot n'est un crétin. A part peut-être... Non, personne. Il est surpris qu'elle approuve le kyudo et ne se montre pas plus surpris que ça à l'évocation du rugby. Imaginer Wayne-senpai plaquer un gars au sol malgré sa corpulence est largement envisageable. La preuve, elle l'a bien rendu impuissant avec un coup de pied bien placé.

Mais là n'est pas le sujet ! Maintenant qu'il a compris, deux choix s'offrent à lui. Soit faire l'idiot jusqu'à ce qu'elle abandonne, soit nier tout en bloc jusqu'à... ce qu'elle abandonne aussi. Il se trouve qu'il sait bien jouer à l'idiot. Alors sa bouche dépasse ses pensées et lui prouve au centuple.

« J'te coupe mais tu parlais de CE club ?! » demande-t-il en agitant le livre devant ses yeux.

Tous les étages de son cerveau brillent plus vivement qu'un sapin de Noël. Comment pourrait-elle savoir quoi que ce soit ? Ce n'est pas comme si ça se voyait sur lui. A-t-il une odeur particulière maintenant qu'il est en couple ? Une histoire de phéromones dont il ne serait pas au courant. Bon sang. Il ne voit pas d'autre alternative que de nier. En bloc. De nouveau, il vérifie qu'ils sont réellement seuls dans la pièce et reprend :

« Tu m'as déjà posé la question et j'ai toujours la même réponse. J'comprends pas pourquoi t'insistes. Tu dis que c'est à mon goût, mais p't'être que j'suis juste tolérant. T'y as pensé à ça ? »