Le retour à l’académie fut plus tranquille qu’il ne l’avait anticipé. Ses pas avaient évité les rues les plus commerçantes et, par chance, il avait trouvé un petit recoin dans le train où il s’était glissé jusqu’à l’arrêt le plus proche de sa destination. Son petit coeur s’était peut-être retrouvé à cavaler un peu comme un lapin poursuivi par un renard, mais il n’avait même pas frôlé la crise. Pensées obnubilées par l’heure qui tournait. Il avait jeté toute son attention là-dessus, et hormis quelques contacts imprévus mais fréquents dans les transports, il avait su ignorer certains déclencheurs.

Stress et pollution se dissolvent sous le jet d’eau, et finissent leur course dans le drain. Douche sereine. Il ignore le monde qui passe et occupe les cabines voisines. Heure de pointe. D’ordinaire, il se serait laissé gagner par le malaise d’être aussi vulnérable à portée d’autant d’inconnus, mais son esprit se raccroche au moment à venir. Une perspective qui le réjouit étrangement, quand bien même au fond de son crâne résonne toujours cette petite voix craintive. Il n’y a pourtant pas de raison que cela se passe mal. Pas cette fois. Ils avaient su éviter un échange malheureux, un peu plus tôt, et nul doute que cette sortie serait suffisamment courte pour ne pas présenter les mêmes risques. Il voulait y croire.

Au pied de l’internat, les minutes passent. Personne. … La politesse voulait que l’on prévienne d’un éventuel retard mais son téléphone demeurait silencieux. Hmm. Peut-être n’aurait-il pas dû accepter la proposition de son cama- Brusquement, deux sacs apparurent dans ses bras et il sursauta à moitié, manquant de les lâcher. Regard arrondi par la surprise, il cligne des yeux et observe Noboru disparaître à l’intérieur du bâtiment.

« …. Quoi ? »

Légère irritation. Il avait l’air d’un porteur de sacs ? Et pourquoi il ne les avait pas juste rangés dans sa chambre ça aussi ? Une lourde odeur de nourriture finit par envahir ses narines. Du gras et autres cochonneries provenant d’une enseigne de malbouffe. Eurk.

Quand le blond revint, le petit japonais avait les sourcils froncés et il ne se fit pas prier pour lui rendre ses affaires. Loin de lui ! D’autant que les vilaines odeurs avaient commencé à lui titiller l’estomac… Mais il était hors de question de céder ! Il acquiesce et s’empresse de prendre la tête de leur duo, marchant un ou deux pas en avant, afin de s’éviter une exposition plus prolongée à ces parfums tentateurs.

Dix minutes de marche, c’était plutôt court pour une balade, mais le temps lui parut pourtant s’étendre à l’infini… Estomac réveillé par les odeurs grasses du sac de victuailles de son camarade, le parfum des échoppes voisines l’incitait à quémander de plus en plus vivement de quoi le remplir. Mais Kotai ne voulait pas l’entendre. La journée avait été si exigeante socialement parlant, entre le tête-à-tête avec son père, la consultation pour son ordinateur, et les deux rendez-vous successifs avec Noboru, sa jauge de tolérance d’autrui approchait dangereusement de ses réserves… Mieux valait s’éviter une confrontation de plus avec un énième être humain sans visage, d’autant qu’il était toujours plus ou moins en probation du côté financier.

Et dans un silence qu’il ne remarque à peine, tant la tempête gronde sous son crâne et dans son ventre, ils finissent par atteindre le petit parc repéré via son téléphone. Plutôt tranquille, malgré la circulation proche. A quelques pas d’avance, il se retourne pour observer le blond sortir son téléphone et sans doute immortaliser le paysage. Pas d’appareil photo professionnel. Est-ce que le garçon d’écume serait intéressé par le cadre ? Post-it mental, et à la question de son interlocuteur, il détourna la tête, cherchant des yeux un coin sympathique.

Au bout de quelques secondes de recherche, il finit par pointer du doigt le belvédère en bordure du lac, et plus précisément les bancs qu’il abritait.

« Ca te convient ? »

Et si la réponse était positive, il s’empresserait d’aller y prendre place, un peu éloigné de son camarade pour ne pas avoir à souffrir davantage des vapeurs émanant de son sac…