Lire délivre

Seito révise plus que d'ordinaire. Il se surprend à se plonger des heures entières dans ses manuels. Il compte et recompte, théorise, compulse, analyse, récite, disserte. Son humeur oscille énormément entre abattement et détermination, ce qui entraîne incompréhension et quiproquo dont il tente de s'excuser à chaque fois. Mais l'enjeu est si grand que la tension est permanente. Alors il met des œillères sur certains comportements. Comme sur Pablo qui a recommencé à être distant et qu'il n'a pas eu le courage de confronter. Plus tard, après les examens. Pour l'heure, il se doit de rester concentré.

Même en ce dimanche après-midi où la pause digestive fait des ravages...

La chambre était bruyante alors il s'est exilé dans la bibliothèque. Non pas que ce soit une punition car Seito se fond aisément dans le décor tant il y passe de temps. Cependant, il n'a pas le loisir d'arpenter les rayonnages à la recherche d'une perle rare qu'il n'aurait pas encore lu. A la place, il se perd dans les fonctions et tente de ne pas dériver de manière exponentielle vers de plus belles inconnues. Ce qui est difficile quand absolument personne ne surveille s'il travaille vraiment. Et bien qu'il ait une volonté accrue de bien faire à ces examens, le japonais avait remarqué être plus efficace en groupe de travail. L'aide précieuse de Mathéo pour l'examen de littérature allait forcément payer.

S'il n'avait pas fait appel à lui cet après-midi, ni à aucun autre de ses amis, c'est parce qu'il ne voulait pas les accaparer. Eux aussi doivent réviser et Seito ne reste jamais calme très longtemps. Il a ses moments de folie pour externaliser frustration et angoisse. Ces commentaires et questions arrivent souvent comme un cheveu sur la soupe et suscitent autant le rire que l'exaspération. C'est pourquoi il avait décidé d'étudier seul, un peu de responsabilisation ne fait pas de mal. Sauf quand cela fait cinq bonnes minutes qu'il observe le bibliothécaire et qu'il se pose une question. Une question bien plus importante que de déduire le tableau de variations de la fonction ? sur l’intervalle [0; 10].

Alors ni une ni deux, le japonais abandonne ses affaires sur la table et se dirige vers le bibliothécaire. Il semble absorbé par... oh peu importe, sa question est plus importante que tous ces papiers réunis ! Sans prévenir de sa présence, Seito se contente de plaquer ses deux paumes de main sur le bureau en déclarant :

« Fortune-san ? »

Et dès qu'il a l'attention du bibliothécaire, il embraye sans plus de contexte :

« Est-ce que vous diriez que vous aimez les livres ? »

S'est-il cogné la tête ? Non, il ne croit pas. Un froncement de sourcils perplexe et il passe brièvement ses doigts sur son crâne pour s'en assurer. Et bien non, tout va bien. C'est gentil au bibliothécaire de s'en soucier. Seito secoue la tête et revient poser des yeux sérieux sur Fortune-san. Et, le voyant revenir à la raison, il s'empresse de choir sur la chaise en face. Maintenant au même niveau, la conversation peut se passer sans interférence !

« Ça m'rassure. Y'a plein d'adultes qui n'aiment pas le métier qu'ils font alors tant mieux si vous aimez vraiment les livres. »

Le lycéen ne se soucie pas réellement de l'avoir interrompu dans sa tâche. Son regard n'effleure pas les papiers et se concentre pleinement sur le bibliothécaire. D'ailleurs, sans que ce dernier ne lui ait demandé quoi que ce soit, il ajoute :

« Mes parents veulent que je fasse un métier qui m'plaît pas. Surtout mon père. Il veut que j'sois comptable, comme lui. Vous m'imaginez, moi, en comptable ? »

Yeux au ciel, une grimace accompagne ses propos. Malgré un énorme effort d'imagination, il ne peut se résoudre à accepter. Quand bien même cela lui assurerait le soutien inconditionnel de ses parents. C'est tellement aberrant qu'il en soupire.

« Pff non, c'est impossible ! J'aimerais bien faire comme vous, moi. Pas faire semblant d'aimer son métier, c'est une belle vie ça, non ? »

Il ne sait pas réellement où il va avec son discours mais en tout cas, il s'y rend fièrement. Un pas après l'autre dans un flot de paroles délirant qui pourrait confirmer le diagnostic initial. Bizarrement, il se sent bien plus inspiré maintenant que devant ses maths.