Un jeu d'ombre et de lumière, sous un filtre carmin, recouvrait la piste de course sur laquelle Alya était restée. Le matériel avait été soigneusement rangé et les chaussures de sport disposées méthodiquement dans les compartiments du casier sous le préau.
Les pairs identiques par leur modèle différaient pourtant par leurs tailles et leurs salissures. Certaines présentaient des lignes de tache d'herbe et d'autres semblaient parfaitement brossées.
Un seul emplacement demeurait inoccupé, celui des baskets qu'Alya avait solidement attachées aux pieds.
Les épaules voûtées et le nez en direction du sol meuble, la Britannique ressassait la journée d'aujourd'hui. La colère lui nouait l'estomac et une autre émotion inconnue lui donnait froid aux bras.
Le revêtement en caoutchouc étouffait le bruissement de ses pas préoccupés.
La piste de course, d'ordinaire lieu d'énergie sportive et de concentration ultime, lui paraissait être ternie par la secousse affective dont elle n'arrivait pas à se débarrasser.
D'ordinaire, elle évacuait ses tracas en courant jusqu'à ce qu'elle les oublie. Le problème, c'est qu'à force de pousser son corps beaucoup plus loin, celui-ci était devenu plus résistant, et donc moins sensible à la douleur.
Pour la même heure de course, Alya devait multiplier les efforts pour sentir des fourmillements dans ses jambes et son cœur pomper du sang.
Et aujourd'hui... Après l'entraînement catastrophique de Fujiwara, elle éprouvait du dégoût pour la piste de course. Pire encore, elle se détestait de ressentir une telle aversion envers cet espace de compétition qu'elle affectionnait tant.
Soudain, la Britannique sursauta.
Elle entendit des baskets crisser avant même de voir sa silhouette. Jin apparut, telle une créature mystique calme.
Sa perspicacité la laissa perplexe. La sportive ne put réprimer son froncement de nez, signe qu'elle était contrariée d'avoir été découverte aussi vite.
Si Jin ne souriait pas, ou à peine, Alya parvenait néanmoins à deviner son état d'esprit derrière la musicalité de sa voix. Son professeur de sport préféré - car il l'était - excluait l'expressivité et les gestes tactiles comme preuves d'affection.
Malgré son apparente impassibilité, la jeune athlète savait qu'il était en réalité très attaché à ses élèves, les guidant notamment à travers le sport mais également pour chaque étape de leur vie d'adolescent.
Parfois, dans ses moments de coup de blues, Alya ressentait parfois une pointe de jalousie, lorsqu'il accordait son attention à d'autres, qui disparaissait aussitôt quand sa raison lui rappelait que c'était son rôle.
En croisant son regard, la concentration qu'elle lisait sur son visage confirmait qu'il éprouvait une véritable inquiétude à son égard.
Sa douceur et son invitation à l'écoute furent pourtant peu réceptionnées, car Alya se persuadait de ne pas mériter sa gentillesse.
- Je ne suis pas sûre que c'est ce qu'il me faut. Soupira-t-elle faiblement. Comme pour démentir, une ombre se dessina sous ses sourcils soucieux. Du moins pas maintenant...
Elle se mordilla le bord de la lèvre inférieure. Une plaie, déjà recouverte de sang séché, trahissait sa fâcheuse habitude à se mutiler la peau de sa bouche.
Alya voyait en Jin une figure paternelle. Elle le sentait capable de la redresser et de savoir la soutenir dans ses moments difficiles. Hélas, bien qu'elle ait la volonté, la sportive peinait à s'ouvrir totalement à lui, pour la simple et bonne raison qu'elle voulait être forte à ses yeux.
À vrai dire, elle l'admirait et l'appréciait tellement que faire preuve de faiblesse en lui racontant ses tracas viendrait à ternir la potentielle image positive qu'il pouvait se faire d'elle, et cette perspective lui était encore plus insupportable que n'importe quelles confessions manquées.
L'enfant prodige
Ft. Jin