[chez les Takahashi] Tu es mon plus beau noël

Tu es mon plus beau noël

En ouvrant les yeux ce matin, Mathéo avait senti son coeur vibrer si fort qu’il s’était demandé si un nouveau séisme ne s’invitait pas pour noël. Enfin. C’était ENFIN noël. Depuis que Seito avait accepté son invitation, il n’avait cessé de l’attendre. Jamais un 24 décembre ne lui avait paru si long à atteindre. Et, pour la première fois depuis bien longtemps, jamais une période d’examen ne l’avait autant agacé. Pour une fois, il aurait souhaité en finir au plus vite. A cause d’eux, lui et Anna avaient dû retarder leurs préparatifs, ce qui ne leur causait pas de problèmes habituellement mais cette année l’un comme l’autre avait étés surexcités à l’idée d’avoir un invité d’honneur. Convaincre Anna d’intégrer Seito alors qu’elle ne le connaissait pas et qu’elle se ravissait du départ de Lou n’avait pas été une mince affaire pourtant. Leur cadette avait annoncé son absence au début du mois et Anna s’était enjouée du fait qu’ils ne l’auraient pas dans les pattes cette année. Cependant, Mathéo soupçonnait sa sœur de ne pas être tout à fait sincère et même d’en vouloir à Lou de les abandonner pour rejoindre une simple amie et un "stupide" stage de pâtisserie. Anna ne l’avouerait jamais et lui tenait bien trop à sa vie pour le lui faire remarquer mais la réalité était que ne pas avoir Lou à noël l'affectait plus qu'elle ne voulait bien le montrer. En lui demandant s’il pouvait inviter Seito, Mathéo ne pensait pas qu’elle accepterait, il s'attendait même à un refus catégorique mais elle l’avait une fois de plus surprise. Sans doute, l’intensité de sa demande et les multiples « s’teu plaît, Anna » renforcés de sa tête de chat suppliant avaient eu raison d’elle. Ce n’était pas dans ses habitudes de quémander quoique ce soit, encore moins d’inviter des amis à la maison. Alors, pour fêter noël… c’était tout bonnement inconcevable. Il se doutait bien que derrière son acceptation, la curiosité de sa sœur espérait obtenir satisfaction mais c’était un risque qu’il avait accepté de prendre. Avoir Seito avec lui à noël… rien que d’y penser la veille, il avait eu du mal à en dormir tellement il en était heureux.

Rentré le 22 décembre chez ses parents pour passer une journée avec Lou avant son départ et lui offrir son cadeau, Mathéo s’était attelé aux préparatifs avec Anna dès le lendemain : établissement de la liste de courses, check up de leurs playlists de noël, vérification de leur stock de décorations, choix de la dite décoration et inspection du grand sapin que leur père leur avait acheté et installé pour l’occasion. Ils avaient ensuite passé la journée du 23 dans les magasins, à faire des aller-retour jusqu’à chez eux. Leurs parents avaient commandé quelques produits français pour le réveillon mais il leur restait le plus gros à acheter et renflouer frigo et  placards pour la semaine. Depuis que leurs enfants avaient quitté le nid, les Takahashi mangeaient surtout au restaurant familial.

Leur journée du 23 s'étaient aussi organisée autour de leurs achats de cadeaux. C’était une règle entre eux : interdiction de les acheter en avance. Rien de trop cher, de quoi se faire plaisir et se surprendre un peu. Ils se donnaient RDV à une heure précise et devaient avoir farfouillé la ville avant, revenant avec leurs présents gardés secrets. Seuls ceux de Seito avaient été en partie acheté en commun. Une fois de retour chez eux, ils n’avaient pas chômé non plus. La maison entière s’était transformée en sapin de noël. Les escaliers avaient été enguirlandés et Anna avait collé des stickers sur ses marches. Les fenêtres avaient subit le sort des pochoirs et de leur bombe de fausse neige, décorées leurs plus beaux père noël, rennes, sapins, couronne de noël et étoiles. Les murs devaient supporter divers éléments de décorations, les étagères troquer leur décor habituel et sobre contre des représentations de père noël mécaniques, de bonhomme de neige et de boule à neige. Mathéo avait accroché leurs grandes chaussettes de noël dans le salon. Celle de Seito rayonnait au milieu de leur vieilles chaussettes d’enfance. Housse de canapé, nappe et rideaux avaient également été changés et teint aux couleurs de noël. Voyant avec quelle fougue et sérieux son frère s’investissait pour préparer la venue de leur invité, Anna avait définitivement compris que ce lycéen n’était pas n’importe qui. Elle-même, c’était pris au jeu, impatiente de le rencontrer... cet ami dont l’attente faisait briller les yeux de son frère.

Le 24 matin, tout juste tiré du lit, lui et Anna s’étaient empressés de décorer le sapin et de finaliser leur programme. Mathéo voulait absolument faire découvrir noël à Seito, leur noël, familiale, à la française. D’une certaine façon, l’idée plaisait également à sa soeur. Ce serait la première fois… transmettre à quelqu’un d’autre tous ces moments si précieux pour elle et Mathéo avait quelque chose d’émouvant. Bien sûr, elle ne l’avouerait jamais non plus. Tous ces efforts n’étaient promulgués que dans l’unique but de faire plaisir à son frère. Mais, la tête calée contre l’épaule de celui-ci, à siroter leur premier chocolat chaud de la journée le temps d’une pause, le coeur d’Anna dansa timidement dans sa poitrine.

H – 2

Sous la douche, Mathéo s’active. Anna l’a prévenu, si elle n’a pas le temps de se préparer, son courroux sera terrible. Il se défait de la sueur de son dur labeur et le remplace par des senteurs de cannelle et de pain d’épices. L’innovation selon sa sœur. Cette année, elle l’oblige à se laver avec ses produits édition spéciale Nöel. Une fois hors de l’eau et recouvert d’une serviette, il s’observe dans le miroir. Ses yeux sont toujours aussi cernés mais il n’y a rien à faire. Hors de question d’écouter Anna et de mettre du fond de teint. Il préférerait mourir. Ses doigts grattent son menton et ses joues, le rythme des derniers jours a laissé sur son visage les traces d’une pilosité négligée qu’il convient de rectifier. Un bon coup de rasoir après s’être transformé lui-même en père noël puis il se rince, se brosse les dents, se met un coup de déodorant et enfile sa tenue du jour. Lui et Anna ont leur petit rituel en la matière : chaque année, elle leur choisit des pulls de noël assortis. Il trouve le sien particulièrement bien trouvé pour une fois. Rien que de penser à celui de Seito, son coeur s’anime.

H – 1

Anna est toujours dans la salle de bain. L’apocalypse pourrait sonner à leur porte qu’elle n’en sortirait pas. Les femmes sont terrifiantes, il se demande ce qu’elle y fait exactement pour que cela dure aussi longtemps. Lui, en profite pour terminer le rangement. Il allume les bougies d’ambiance, l’orange et la cardamone sont à l’honneur aujourd’hui.

H - (-1h40)

Sa soeur tire nerveusement sur sa jupe en laine, épargnant ses collants pour ne pas les effiler. Ses yeux ne quittent pas son frère qui fait les 100 pas dans le salon depuis une heure, focalisé sur son téléphone. Seito est en retard d’une heure quarante, il lui a certifié qu’il est bien en route, elle ne voit pas ce qui justifie de s’inquiéter autant. A la limite, c’est frustrant mais si son frère arrêtait de stresser, ils pourraient faire un jeu pour passer le temps. Ça l’étonne qu’il en soit si perturbé.

« Le principal, c’est qu’il arrive. T’en fais pas, déstresse, tu commences à m’angoisser » le toise-t-elle, avachie dans le canapé, bras croisées. Sous le gong de sa remarque, l’étonnement apparaît sur le visage de son frère. Réalisant le spectacle qu’il donne à voir, celui-ci la rejoint dans le canapé.

« Désolé… tu as raison. C’est juste… qu’il n’a plus de batterie. Alors j’espère que tout va bien. »

« Arrête de jouer les papas poule avec les gens que tu apprécies, je t'assure que ça n'est plus à la mode depuis looongtemps. » lui lance-t-elle en levant les yeux au ciel. Irrécupérable, ce frère. En guise de réponse, Mathéo esquisse un sourire coupable et lui tapote la tête. A peine de quoi le détourner 5 secondes de son téléphone.

Tu es mon plus beau noël

La porte d’entrée des Takahashi dévoile la présence de Seito en s’ouvrant. Sur son pas, le lycéen capture toute l’attention de Mathéo. Yeux dans les yeux, ils se contemplent. Les vacances n’ont commencé que depuis quelques jours mais Seito lui manquait déjà. L’avoir enfin devant lui, savoir qu’il peut rester quelques jours ici, suffisent à remplir son cœur d’une douce quiétude. Celle-ci n'en reste pas moins relative, malmenée, ses yeux interrogent son petit ami sur la situation. Pourquoi ce retard ? Où est passé son manteau ?? Que s’est-il passé ? Et plus important encore : est-ce qu’il va bien ? Un mauvais pressentiment naît du paysage chaleureux dans lequel est plongé son cœur.

« Bienvenue » souffle-t-il avec bienveillance. Peu importe. Pour le moment, ce qui compte c’est qu’il est ici. Tant qu’il est avec lui, il est en sécurité. Tant qu’ils sont ensemble, il peut essayer de le protéger, de prendre soin de lui. Il peut au moins s'en consoler.

« Bienvenue, Mori-senpai » se manifeste Anna, derrière eux, toute guillerette malgré l’étonnante ambiance qui circule entre son frère et son ami qui… est sans manteau ? Oh. Eh bien, pourquoi pas…  Il parait que certaines personnes ont le sang chaud. « Ne t’en fais pas pour le retard. Le principal, c'est que tu sois là. Je suis Anna, ravie de te rencontrer ». ajoute-t-elle en tapotant sur le bras de son mollasson de frère pour le réveiller. Qu'est-ce qu'il a aujourd'hui ? « Entre, je t'en prie. viens te mettre au chaud »

Elle l'imaginait plus âgé et charismatique mais il est tout de même mignon. Le concerné semble chuchoter quelque chose à son frère en passant... Curieuse, elle s’écarte tout de même un peu pour ne pas les gêner. Mains jointes sur le ventre, elle les l’observe, l'œil perçant. Son frère est un véritable gyrophare, impossible de louper son inquiétude. Loupe t-elle quelque chose d’important de son côté ?... ou bien en fait-il trop ? Il va finir par l'angoisser à force ! Stupide frère.

Anna sur les talons, Mathéo n’oserait de toute façon rien demander de vive voix. Il se contente d’un maigre sourire, tirant légèrement sur son pull pour y jeter un œil. « On dirait toi quand tu essayes d’attraper tes poissons sur animal crossing » taquine-t-il le lycéen. Les joues réchauffées par le souvenir de tous ces moments passés à le regarder jouer, il ajoute : « Je suis content de te voir aussi ».

Anna assiste à la scène, silencieuse mais vive comme un chat. Une pointe de malaise la titille, elle se sentirait presque de trop. « Tu en as un aussi » annonce-t-elle de sa petite voix adoucie pour l'occasion. « D’ailleurs ! Interdiction d’aller plus loin sans, c’est le dress code de la journée. Restez là, je vais le chercher ~ » jette-t-elle en lançant ses cheveux en arrière, tournant les talons pour courir jusqu’au salon. Il ne faut à Mathéo que quelques secondes pour calculer le temps qu’Anna leur laisse malgré elle : le pull est dans un sac sur la table basse du salon. La connaissant, elle le sortira du sac pour vérifier qu’il est toujours en état d'être offert avant de le leur ramener. Ils ont donc une demie minute, pendant laquelle il se penche sur Seito, pour un baiser volé. Un deuxième pour la route, animé par l’adrénaline de sa folie et la peur de se faire prendre. Tout juste le temps de s’éloigner qu'Anna réapparaît avec le pull, fièrement présenté devant elle.

« J’espère qu’il te plaît ! »

Surexcitée comme une enfant, elle lui tend sous le cou pour constater la pertinence de son choix. « Parfait. Il te va magnifiquement bien au teint » commente-t-elle, en grande diva de la mode. « Tu l’enfiles ? »

Mathéo l’attrape par les épaules pour lui faire faire  demi tour.

« Tu ne crois tout de même pas qu’il va se changer devant toi ?  » la sermonne-t-il.
« Hm ? Mais ce n’est qu’un pull ! » proteste la jeune femme en mettant tout son poids sur ses jambes pour ralentir son départ, précipité par son idiot de frère qui la pousse et la fait glisser, collants sur le plancher.

« On t’attend dans le salon, Seito. Prends ton temps. Tu peux laisser tes affaires dans le couloir, je les montrai après dans ma chambre »

Frère et soeur disparaissent. Dans le salon, Anna le juge du regard.

« Tu finiras seul et aigri avec un chat » chuchote-t-elle.
« C’est une prédiction ou une menace ? » demande Mathéo, faisant peu de cas de sa remarque.
« Une prédiction. Si je voulais te menacer, j’aurais ajouté : avec ta sœur chérie comme seule et unique femme dans ta vie » répond-t-elle en esquissant une grimace.
« J’ai connu pire menace » s’en amuse-t-il.
« Tu vois ? C’est précisément pour ça que je m’inquiète pour toi. Qui voudrait finir sa vie avec sa petite sœur ? », surtout : ça ne prend pas. Elle sait très bien qu’il ment et qu’il cache dans son ombre une petite-amie qu’elle finira bien par découvrir un jour ou l’autre ! Pour ça, leur invité sera de première utilité. Proches comme ils ont l’air de l’être, Seito doit forcément savoir quelque chose.

D’un déhanché maîtrisé, elle donne un coup de hanche à son frère et libère la voie pour revenir près du couloir.

« Mori-senpai, est-ce que tu veux un chocolat chaud pour te réchauffer ? Tu es plutôt team marshmallow, chantilly ou les deux ? »