- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 339■ Inscrit le : 08/05/2021■ Mes clubs :
Mon personnage
❖ Âge : 28 ans
❖ Chambre/Zone n° : 1
❖ Arrivé(e) en : Fin Janvier 2017
Sereins, vénérables et olympiens, les ouvrages alignés contemplaient Yukio, transperçant ses yeux de leur grandeur placide. Du haut des rayonnages, combien de siècles pouvaient donc le contempler ? Du papier collé sur du cuir, des mots couchés sur du papier, et tant de magie. Des livres plus anciens que sa brève existence, une encre écoulée sur le chemin de la flèche du temps, et une sagesse parfois relative, mais souvent sincère. Des tirades, crachées sur du parchemin comme pour hurler des désirs d’éternité, et tuer, autant que faire se peut, sa propre mortalité. Les mains qui ont tenu la plume sont redevenues poussières depuis longtemps, mais là, sur un alignement de planches de bois, la suie changée en idée a demeuré.
Les librairies spécialisées dans les livres anciens, universitaires et internationaux, avaient une odeur et une ambiance particulière, elles étaient comme suspendues hors du temps, comme coincées dans une bulle d’effacement spatio-temporel. Tout y semblait feutré, étouffé, ralenti, et même les quelques occupants des lieux adoptaient, sans vraiment le vouloir, une démarche prudente et déférente. On ne se pointait pas ici par hasard, et les mouvements des uns et des autres, calculés, donnaient l’impression de tracer dans l’atmosphère de longues arabesques, propres à dissiper le brouillard qui couvrait le passé. Le professeur d’histoire aimait ces endroits, ils étaient une porte vers la découverte d’un savoir caché, confiné dans des arcanes d’initiés, et caresser des doigts les couvertures tannées lui donnait la sensation fugace d’être, dans un monde mécanique, un magicien solitaire.
Les miroirs aux plafonds et sur les murs conféraient au lieu un semblant d’infinité. Il suffisait, doucement, de lever les yeux, ou de les tourner, pour se croire tout entier englouti dans des allées perdues, et penser à sa portée tous les livres jamais écrits, jamais pensés, jamais lus. La lumière tamisée couvrait l’ensemble des angles et des circonférences d’ombrages vaporeux. Ici comme nulle part ailleurs, l’on pouvait se perdre, se noyer, s’ensevelir sous la viscosité de l’éther. La bibliothèque de Babel, chère à Jorge Luis Borges, trouvait en cet endroit des échos presque ironiques. L’on s’attendait, à tout instant, à voir débarquer des coins des étagères des sectes purificatrices, des inquisiteurs harassés, et des chercheurs du Livre Total.
Là, quelque part, sur l’une des planches mal éclairées, devait se trouver l’objet de la convoitise de l’enseignant, qui était venu chercher, en mal de sources, de quoi juger d’une thèse sur l’empire Achéménide. L’antiquité, vaste, était venue, une fois de plus, le mettre au défi, et s’il se trouvait un seul endroit dans cette ville où il pouvait étancher sa soif, c’était ici, dans cet oasis de temps irrésolu.
Coincé au pied du rayon consacré au golfe Arabo-persique, à l’Asie centrale et à l’Asie mineure, cherchant l’ordre dans le chaos, Yukio retenait sa main, parcourant du regard les mots présents sur les tranches, s’y accrochant parfois pour mieux s’en détourner. En homme perdu au milieu du désert, il était évident qu’il avait besoin d’aide, mais, immergé dans ses pensées contemplatives, il ne se résolvait qu’à rester immobile, laissant vagabonder son esprit sur les lignes dansantes des ornements des parements.
Il resta ainsi plus d’une vingtaine de minutes, s’imprégnant du lieu autant qu’il conditionnait son esprit, avant de prendre enfin, d’un pas décidé, la tangente. Quelque part, entre les murs écrasants de papier, devait bien se trouver un vendeur, un bibliothécaire, un libraire, un conservateur, ou même un stagiaire. Quelqu’un qui pourrait, à coup sûr, le conseiller dans ses achats, guider son exploration, et mériter son salaire. Au premier carrefour, il ne croisa personne. Au second, non plus. Au troisième, il reconnut sur sa gauche le professeur Kanagawa, de l’université d’Ashiya, un idiot de la pire espèce. Désireux de s’éviter l’effort de paraître sympathique, il tourna promptement à droite, puis à gauche, puis encore à droite, puis encore à gauche et à droite, semant sa propre ombre d’un pas précipité. Lorsqu’il fut certain d’avoir mis suffisamment de distance entre lui et le Minotaure, il s’arrêta, et poussa un long soupir. Il venait de se perdre dans le labyrinthe, mais il était sauf.
Le silence régnait. En regardant autour de lui, il s’attendait à ne trouver personne, mais là, devant lui, à quelques mètres, un gamin avec des cheveux bleus et un air paniqué le regardait. Était-il, lui aussi, égaré dans le lacis de vélin prêt à les digérer ? Que cherchait-il en ces lieux ? Et surtout, allait-il crier, attirant sur le professeur toutes les créatures de Dédale, dont l’infâme Kanagawa, plagieur condescendant, mauvais historien, vil serpent arrogant, méprisant chercheur de lauriers plus que de savoir, prêt à toutes les bassesses, capable même de prendre de haut un collègue tout juste sorti de doctorat, un soir de janvier, et de lui balancer sans pression qu’il n’avait aucun talent pour la recherche scientifique.
Un court instant, Yukio hésita à se jeter sur le jeune homme pour le bâillonner de sa main, de manière préventive, mais ça n’eut pas été correct. Il se contenta d’espérer, et de laisser reposer sur les épaules du petit la charge de ne pas hurler de surprise, et de se contraindre au silence.
Fermant les yeux d’appréhension, il pensa très fort :
* S’il gueule, je balance le schtroumph par la fenêtre. *
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Sam. 7 Avr. 2018
Maze Racers
Une librairie dans le centre
Maze Racers
Une librairie dans le centre
Cher Journal,
Ce que je fous ici ? Moi-même je l’ignore. Mais c’est ce qu’il se passe quand on décide de fricoter avec une doctorante qui aime un peu trop ce qu’elle fait pour son propre bien. Et honnêtement, je me considère comme un homme curieux. Pas toujours suffisamment brillant pour suivre mes interlocuteurs ou capter l’intégralité du contenu que j’essaye de consommer, mais ça n’enlève rien à la bonne volonté dont je fais preuve. Alors quand Mariko m’a proposé un « date dans un super endroit, tu vas voir, tu vas adorer, c’est une librairie avec des ouvrages anciens qu’on peut consulter et c’est super intéressant », j’ai accepté parce que je croyais encore en sa promesse. Je suis un homme changé aujourd’hui, blasé aussi mais certainement pas rancunier bien qu’on m’ait posé un lapin.
Tu m’as bien lu cher journal. Ce n’est pas le premier, ni le dernier, je n’en doute pas, mais ça n’est jamais bien gratifiant. Moi qui me suis fait tout beau avec un trait d’eye-liner discret, une jolie chemise fluide et toute ma classe habituelle (il faut bien que je redore cet égo malmené), je me retrouve seul face à ce qui me semble être une tapisserie de connaissance inintelligible. Parfois, j’attrape un truc au hasard et je feuillette avant de me rendre compte que je suis incapable d’en comprendre en soupçon. Parfois, je m’émerveille juste devant des brouillons, des esquisses. Mariko avait raison sur un point, c’est intéressant car j’y trouve mon compte (à peu près) sans pourtant rien n’y comprendre. Et je reste ici à vagabonder un moment en ressassant le SMS désolé et plaintif que j’ai reçu il y a déjà cinq minutes, dans lequel ma partenaire me demande mon pardon le plus solennel et je le lui donne sans même y penser deux fois. Après tout, je ne lui en veux pas. Je doute qu’elle me mente et quand bien même ce serait le cas, je suis optimiste et j’essaye de me dire que ce n’est que partie remise.
Je devrais rentrer chez moi, c’est ce que je me dis quand un homme qui me dit vaguement quelque-chose déambule entre les étagères jusqu’à moi. Il n’y a pratiquement personne dans cette librairie, et nous nous croisons malgré tout. La façon qu’il a de me regarder et de fermer les yeux avec ce que je lis comme… de l’exaspération ? Pas sûr. C’est trop difficile à cerner et même à distinguer d’où je me tiens.
Le souci ? Je ne sais pas me taire et ce duel de regard, alors que nous sommes tous deux figés chacun de notre côté, commence à me peser.
« Je… je peux vous aider ? Je me rends soudainement compte que ma présence ici n’est peut-être pas désirée. Je suis habitué à ce qu’on me demande gentiment d’aller ailleurs (je soupçonne ma couleur de peau, mon cache-œil ou mes cheveux bleus, au choix). Ah. Vous êtes venu me demander de sortir, c’est ça ? »
Nassim Majid & Yukio Ogawa
by emme
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 339■ Inscrit le : 08/05/2021■ Mes clubs :
Mon personnage
❖ Âge : 28 ans
❖ Chambre/Zone n° : 1
❖ Arrivé(e) en : Fin Janvier 2017
Barbe bleue s'était décidé à ouvrir la bouche, élevant la voix sur un ton gêné, au risque d'attirer sur nous l'attention du Minotaure qui rôdait dans les rayonnages. Il avait l'air aussi angoissé qu'une lycéenne avant ses examens. Je lui aurais bien tapoté gentiment sur le crâne pour le rassurer, mais la compassion devait céder devant l'urgence. Pas le temps d'élever la voix à mon tour, je franchis l'espace qui nous séparait en un immense pas, et l'attrapait par le bras tout en lui couvrant la bouche, l'entrainant deux croisements plus loin, à distance raisonnable du monstre en divagation lâché dans le labyrinthe. L'opération ne fut pas vraiment de tout repos, Monsieur j'attire l'attention était étonnement vachement plus lourd que ce qu'il pouvait bien paraitre. Il fallut jouer de mon élan pour l'emporter. Comme en toute chose dans ma vie, je prenais appui sur l'inertie de ma trajectoire pour m'en sortir. Heureusement, nous n'allions pas bien loin, et sitôt le gamin plaqué au mur, je lui intimais le silence en plaçant mon index levé devant mes lèvres, plantant mes yeux déterminé dans son regard interloqué.
Prudent, je jetais au coin une dernière œillade, vérifiant l'état d'alerte du serpent méphistophélique, et s'il fallait se mettre à courir pour lui échapper. Dans ma fuite, j'étais prêt, à tout instant, à balancer le moujingue sur le chemin de la bête. Se servir du petit comme d'un bouclier humain était méprisable, mais la survie exigeait parfois un sacrifice. Pas le mien, ça allait de soi. Heureusement pour le poulbot aux cheveux d'azur, on avait pas encore pris l'aggro du mob. Inutile, à ce stade, de solder son existence sur l'autel de ma propre perpétuation.
Voyant qu'il ne semblait toujours pas comprendre quoi que ce fut à notre situation, j'éprouvais une très légère pitié. Il affichait toujours l'air penaud d'un pèlerin ayant fait vœu de silence soudainement transporté dans une discothèque à Ibiza. Je lui murmurai, avec d'infinies précautions, quelque explication balbutiante:
- Parlez doucement parbleu, vous allez nous faire repérer.
Du doigt, je lui pointais le danger en errance, qui cherchait une victime, à la manière d'un requin capable de sentir la moindre goutte de sang, et ajoutai:
- Le vieux, là-bas, s'il nous voit et qu'il nous aborde, on est bons pour passer l'après-midi à l'écouter nous parler de ses recherches ineptes sur le concept d'antiquité tardive. Croyez-moi, vous ne voulez pas vivre ça. Il est hors de question que je ressorte d'ici essoré par l'écoute attentive de 3 heures d'inepties scientifiques. Si vous pensez savoir ce que le mot "condescendant" veut dire, vous avez tort. Ce gars-là, il nous choppe, et vous pouvez dire adieu à vos projets pour la journée.
Je relâchais mon étreinte, laissant mon jeune otage retrouver la liberté de ses gestes et de ses paroles, ponctuant sa libération d'une proposition toute logique:
- Premier principe de la survie: rester en mouvement. J'ai vu ça dans Man Versus Wild. Il faut qu'on s'éloigne de la source de danger. Je connais une planque entre le rayon sur les études théoriques sur l'origine abiotique du pétrole et celui sur la musique d'ancien régime. Personne n'y va jamais, ce qui est logique, ce sont des champs de recherche en état de mort cérébrale. On y sera à l'abri, venez.
- InvitéInvité
Sam. 7 Avr. 2018
Maze Racers
Une librairie dans le centre
Maze Racers
Une librairie dans le centre
Cher Journal,
Ce que je m’apprête à te raconter, cher journal, est loin d’être la chose la plus étrange que j’ai vécue depuis mon arrivée ici. Mais j’avoue qu’elle se situe dans le top cinq. À force de gratter ton papier, j’estime que toi et moi, on se connait. Je suis tactile, je n’ai pas de mal à supporter la proximité même d’inconnus.
Mais là, même pour moi, c’est un petit peu trop. Un tout petit peu. Un chouilla. Et je t’apprendrai rien non plus de mes préférences : me faire un peu malmener et couvrir la bouche, ça ne me gêne pas quand le contexte s’y prête. Autrement dit, pas celui d’un putain de kidnapping. Et c’est qu’il a de la force, ce type. Sa tête me dit vaguement quelque-chose et c’est pour ça que je ne me débats pas trop : je deviens complètement paranoïaque et je me dis que c’est sûrement un gars que je connais, que j’ai connu, que j’ai croisé quelque-part, qui s’est dit qu’on était suffisamment proches l’un de l’autre pour qu’il se souvienne de moi sans que ce soit mon cas, et surtout pour qu’il puisse m’attraper comme si j’étais sa poupée de chiffon pour me bâillonner (ou presque) et me faire changer de rayon. J’ai encore un bouquin dans les mains quand il s’exécute et l’image de ce parpaing qui s’écraserait sur sa tête pour l’assommer passe rapidement sous mes yeux mais je n’y songe pas plus longtemps.
Je ne suis pas violent. Même si à situation désespérée, mesures désespérées dit-on.
Il dit quelque-chose que j’écoute à moitié. Je m’en fiche, et je me débats un peu maintenant. La main a tout juste le temps de quitter ma bouche que je reprends, visage fermé et sourcils froncés :
« Mais vous êtes complètement cinglé ?! Vous ne p— »
Le goujat me coupe la parole et je suis bien trop sidéré par la situation pour réussir à parler par-dessus lui. Donc j’écoute, en dépit de ma patience. Mes épaules se détendent, mon visage aussi, mais je n’abaisse pas le menton. Je ne le dépasse peut-être que de quelques centimètres, mais crois-moi que je profite de chacun d’entre eux pour le regarder de haut.
Il me vient l’espace d’un instant l’idée que ce mec soit peut-être un danger. Non pas pour moi, mais pour lui-même. Est-ce qu’il est dans son état normal ? Est-ce qu’il n’est pas en train de délire ou de faire une crise de démence ? Ses propos ont l’air cohérent mais, pardonne-moi cher journal, il a juste l’air complètement zinzin. Il n’y a pas d’autre mot. Et la curiosité est un très, très vilain défaut mais pas que. Il est aussi vicieux, mauvais, mal placé et me mène à le suivre comme un imbécile heureux parce que mon corps bouge à ma place. Qu’est-ce que c’est que ce cirque et pourquoi est-ce qu’on m’a filé le rôle du clown ?
« Qu’est-ce qui vous empêche de l’ignorer ? Si c’est juste ça qui vous fait peur, je lui dirai qu’on n’a pas envie de lui parler. Et puis c’est tout. Pas besoin d’en faire tout un plat ! »
Je parle trop vite. J’aurais dû être plus attentif. J’aurais dû écouter le monsieur qui prononce des phrases bien construites et qui dit des mots savants. Je fais un pas de trop, me retrouve à découvert et aperçoit l’homme dont il est question au bout d’une allée. Mais ce que je vois, c’est ce qu’il y a dans les yeux de la jeune femme qui a toute son attention. Elle me rend mon regard avec une détresse indescriptible. Je sens quelque-chose de lourd tomber dans mon estomac et je plaque un bras en travers de la poitrine de l’inconnu qui menaçait de m’enlever quelques secondes plus tôt.
« Okay. Bon. Pas par là. Je sais pas comment, mais il s’est téléporté ici, je jette un coup d’oeil rapide vers la demoiselle en détresse. Pourquoi est-ce qu’elle ne lui dit pas juste qu’elle n’a pas le temps… ? Je ne comprends pas… »
Et ce coup d’oeil marque une première erreur à ça de m’être fatale. Le mec se tourne et me voit, interrogé par le fait que je le regarde du coin de l’oeil au bout d’une allée. Il ne m’a pas seulement vu, il m’a remarqué.
« Merde. Merde. Il m’a vu. Fichons le camp. »
Nassim Majid & Yukio Ogawa
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- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 339■ Inscrit le : 08/05/2021■ Mes clubs :
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❖ Âge : 28 ans
❖ Chambre/Zone n° : 1
❖ Arrivé(e) en : Fin Janvier 2017
Les yeux exorbités, je jurais en serrant les dents. Mouscaille liquéfiée ! Le gamin était passé dans le champ de tir de la mitrailleuse à cauchemars, attrapé au vol par les rayons lasers invisibles qui sortaient des orbites du vieux, prêts à découper la première cible rencontrée à coups de condescendance oculaire. Sans le moindre temps de réaction, Cthulhu déployait déjà ses tentacules d'halitose, paralysant le jeune homme aux cheveux bleus par une forme d'hypnose horrifiante. Le petit était en plein milieu de l'allée, pétrifié, et tel un lapin pris dans les phares au xénon d'un SUV, il était promis à une fin certaine.
A travers les espaces horizontaux qui couraient entre les rangées de livres et les planches des étagères, j'apercevais le grand ancien se tourner. A l'image d'un carnassier puisant son excitation dans la chaleur du sang encore chaud, il relâchait sa proie précédente comme un jouet ennuyant, après l'avoir passé dans le hachoir de ses pulsions de mort. La gosse n'en fut nullement soulagée. Il était bien trop tard pour cela. Ses yeux vides ne renvoyaient plus rien, car son âme avait été entièrement aspirée, avant d'être dévorée vive par l'armée de bacchantes qui peuplait les paroles du professeur Kanagawa.
Les lumières vacillèrent. L'atmosphère elle-même semblait perdre son désir d'exister, tandis que l'ogre achevait de se tourner. Les tranches des bouquins, sur tous les rayons où les regards pouvaient se porter, semblaient se couvrir d'un rouge tirant sur le noir. Je sentais ma vision s'obscurcir, et je luttais pour rester lucide, tandis qu'un immense frisson parcourait mon échine. La climatisation s'était mise en marche, et le froid envahissait l'air comme s'il s'était agi d'une nouvelle ère glaciaire. Pris d'effroi devant la scène qui se déroulait, je murmurai, dans une semi-fascination:
- L'Enfer est vide, tous les démons sont ici...
Relevant légèrement la tête, je croisais l’œil suppliant du pauvre garçon promis à une après-midi de torture, et lui envoyait un regard compatissant. Caché derrière cette étagère perpendiculaire à l'allée, j'étais en relative sécurité. Le monstre ne m'avait pas repéré, et il m'eut suffi de tourner les talons et de m'enfuir pour échapper au pire, en laissant derrière moi le jeune homme aux cheveux bleus. En quelques minutes à peine, je pouvais être loin du danger, souffler, et regarder l'avenir avec une considération radieuse. Bien sûr, je culpabiliserais certainement, l'espace d'une petite heure, d'avoir ainsi abandonné à son sort un innocent, mais en vérité, ce ne serait pas grand chose. Que valait une heure de mauvaise conscience, face à la certitude de voir son esprit déchiqueté par des mâchoires hurlantes ? Le courage était le luxe des inconscients, et j'aimais croire à ma capacité d'auto-préservation.
J'allais faire un pas de recul, premier geste préalable à la grande débandade, lorsque le gamin se réveilla, assez soudainement, comme s'il s'était pris un seau d'eau sur la tête. Dans un sursaut de lucidité, il avait eu l'intuition de comprendre qu'il n'avait que deux alternatives: la fuite effrénée, ou la fin prématurée. Dans un langage précipité, il s'exclama:
« Merde. Merde. Il m’a vu. Fichons le camp. »
Ah ça ! Il t'a bien vu comme il faut, pauvre cloche ! Dans un élan de solidarité destiné à nous mettre tous deux en mouvement, je tendais le bras, et l'attrapais de nouveau, tout en m'exclamant à voix basse:
- Allez, fini de jouer les clopinards, s'agirait de calter, et fissa.
Tirant le camarade pour l'emmener dans mon élan, je me lançais dans une course paniquée, priant pour qu'il ne soit pas trop tard. Au deuxième tournant, je crus apercevoir sur mon flanc droit un chariot de bibliothécaire, stationné le long d'un gradin. Faisant promptement passer le gamin devant moi, je freinais des quatre fers, et sans hésiter, je poussai d'un coup de pied le véhicule pour l'envoyer valser au milieu du chemin. Sans même regarder le résultat de mon action, je reprenais la course. Je tendais toutefois l'oreille, et en entendant la fourragère à papier s'encastrer en travers des rayonnages, j'eus presque un sourire.
Notre frénétique cavalcade se poursuivait, et les virages se succédaient. inopinément, au détour d'une sinuosité mobilière, une porte, sur le côté. J'attrape mon comparse par le col pour infléchir sa course, et je fonce sur la safe zone. Réservé au personnel ? Rien à carrer ! J'ouvre, je balance le gamin dans le placard à balai, je le suis sans attendre, et je claque la porte, trop heureux d'avoir trouvé une planque.
Souffler, un grand coup, puis tendre l'oreille, pour voir si on a semé la patrouille.
- Désolé d'avoir été un peu brutal, c'était pour votre bien. Je n'ai pas pour habitude d'user de contrainte physique sur des inconnus, mais là, c'était ça ou... enfin, voyez quoi.
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