[JARDIN HAMA RIKYU] Waka Waka 'Cause this is Africa !

Cette histoire de club me tracasse plus que de raison. Combien de temps est-ce que ça fait que je n’ai pas moi-même touché un ballon, sérieusement ? Trop longtemps. Je sais que je suis rouillé comme pas possible mais au moins, peut-être que ça reviendra avec un club. Et puis, ce que j’aime le plus dans le foot—c’est regarder des professionnels et râler à leur sujet alors que je n’aurais jamais un dixième de leur niveau. Au final j’aurais beau manquer d’un petit peu de pratique—ça ne fera pas de moi un moins bon référent. Si ? Peut-être ? Arg, j’en sais rien et je préfère ne pas y penser pour le moment. On est en vacances—enfin, techniquement les gosses sont en vacances et moi je taffe—alors on se détend.

Du coup, je décide d’aller marcher un coup en ville pour prendre un peu l’air, parce que c’est l’un de mes passe-temps préférés après aller payer des verres à des jolies filles en ville. Évidemment, en bon féru de mode que je suis et même si ce n’est que pour me détendre que j’y vais, on est à Tokyo ! Alors je fais un petit effort de streetwear et je mets un cargo noir avec des trous au niveau des genoux, un pull gris rentré à moitié dans le pantalon avec ma chaîne, un bob et mes meilleures baskets, et je suis fin prêt.

Les jardins sont beaux et encore plus agréables puisqu’il n’y a pas énormément de monde. Et pile quand je me dis que je ne vais pas croiser d’élèves…

Je reconnais l’un d’entre eux, en train de jouer avec un ballon dans l’une des parties de la pelouse qui n’est pas interdite au public. Je jette un œil au ciel et me demande si les astres ne se sont pas alignés pour m’emmerder aujourd’hui. Pas que je ne veuille pas croiser d’élèves ou jouer au foot, mais justement. Ce n’était pas ça, mes plans. J’avais prévu de m’allonger dans l’herbe comme un gros sac et maintenant…

C’est comme si on me tendait la perche. Je foule la pelouse et fait geste de la main au garçon en question. Évidemment, je me souviens de sa tête mais pas de son nom. Je ne crois pas l’avoir déjà entendu de toute manière.

« Du foot pour ta dernière journée à Tokyo. Audacieux mais c’est bien de s’entraîner, le club va bientôt rouvrir, » je lui dis en m’avançant pas très loin de lui. « C’est quoi ton nom, déjà ? »

Ah, et je pars du principe qu’il m’a reconnu aussi. On est pas cinquante surveillants non plus. Donc j’espère que ma tête lui dit quelque-chose, sinon je vais sûrement passer pour un con.

C’est quoi ce surnom ? On me les a toutes faites depuis mon arrivée aussi – et jamais j’aurais cru mon nom être aussi compliqué pour les Japonais – mais celle-là, c’est la meilleure. Je peux pas m’empêcher d’hausser les sourcils d’ailleurs, interloqué. Bon, perso’ ça me dérange pas parce que je m’en fiche un peu et que de manière générale, je suis un peu le surveillant cool qui est sympa’ tant qu’on joue pas avec les limites à ne pas dépasser et qu’on ne me prend pas pour un con. Mais j’suis pas totalement sûr que ça aurait plu à d’autres adultes.

« Eh si ça t’plait, c’est ce qui compte, » je lui réponds en souriant, m’accoudant à la barrière. « Ouais, j’en faisais un peu quand j’étais plus jeune. Enfin, j’dis ça comme si j’avais quarante ans—quand j’étais adolescent, quoi. J’ai pas continué en grandissant. »

Et c’était uniquement récréatif, j’en faisais pas beaucoup parce que je suis asthmatique et que j’ai toujours eu la flemme de faire des efforts pour essayer de devenir meilleur malgré ça. Moi, j’aimais le foot parce que je trouvais ça super amusant et que c’était un truc cool à faire avec mes potes. Mais c’est pas comme mon frère Quincy qui vit littéralement pour le sport.

« Après j’suis toujours activement le foot. C’est pas un sport super populaire au Japon donc j’ai eu du mal à trouver des potes qui aimaient ici. »

Sans grande surprise, Jackson est plutôt enthousiaste à l’idée qu’un club de foot ouvre. C’est Pablo qui sera content ça, quand je lui dirais que je lui ai fait de la pub.

« C’est Mora-san qui va l’ouvrir pour être le président, faudra voir les détails avec lui. Moi pour le moment, j’me suis juste porté volontaire pour être le référent. »

Ouais, enfin, je me suis plutôt fait alpaguer sans délicatesse dans un bar par Pablo, mais ça c’est une autre histoire.

Beau ? Attends, il vient de me dire que j’étais beau là ? J’hallucine ! Enfin j’le prends pas mal et j’le remercie même en bafouillant un peu parce que c’est clairement pas un truc que j’ai l’habitude d’entendre de la part des élèves—et du coup, je ris nerveusement. Jeune, j’veux bien, mais bon. Peut-être qu’il parlait de mon style vestimentaire ? Là, c’est différent ! Là ça me fait plaisir ! Non parce que je prends soin de mon apparence hein. Faut bien plaire aux dames et leur montrer qu’on se soigne. Je sais que certaines préfèrent les rustres, mais moi je m’adresse à celles qui préfèrent la finesse.

« J’suis pas super sportif, crois-moi ! Je préfère regarder les autres faire et les encourager, c’est plutôt ça mon domaine. Mais de temps en temps, c’est sympa’ de jouer. »

Sa question suivante me remet d’aplomb et je reprends très vite contenance.

« Ah bah si tu trouves les clubs anglais trop classiques, j’vais te décevoir. Pour moi c’est Liverpool depuis toujours, dans le corps et dans le cœur. J’aime bien le Barça’ et le Bayern, aussi. Puis niveau national, je m’y intéresse vite fait mais j’aime surtout regarder les féminines aux US. Même à l’internationale, en vrai. »

Ah—Megan Rapinoe ! C’est du beau jeu, et ceux qui disent qu’ils n’aiment pas le foot féminin ne connaissent rien aux femmes et au foot. C’est bien dommage pour eux. Bref, je vais pas m’étendre là-dessus, sauf si ça intéresse Jackson. À la base, il est venu jouer, pas taper la discute à un surveillant. Donc je dois un peu l’embêter et il doit être trop poli pour me le dire.

Néanmoins, ce qu’il me répond me laisse un peu perplexe. Bon, je connais la bête et c’est difficile de manquer Pablo Mora, parce qu’on entend toujours parler de lui quelque-part pour une raison ou une autre. Donc j’ai aucun mal à croire qu’il doit avoir quelques… ennemis, par-ci par-là. J’irais pas jusqu’à dire que Jackson est son ennemi, c’est tendu comme il l’a dit. Je hausse un peu les épaules.

« C’est pas grave, ce qui compte c’est que tu t’amuses dans le club. J’suis sûr que tu pourras l’intégrer sans trop de mal, quand il ouvrira ! Je te ferai passer une feuille d’inscription, » je lui réponds en souriant. « En espérant que Mora-san ne t’ennuie pas trop, bien évidemment. »