[ALÉATOIRE] Seismo, le sortilège de protection ultime

De retour de sa séance chez le psychologue, Seito a besoin de se changer les idées. C'est tout naturellement qu'il se dirige vers le bâtiment universitaire sans passer par sa chambre. Il n'a prévenu personne, son portable est resté sur sa table de chevet ce matin. Nolan ou Mathéo, il se contentera du premier qui sera dans sa chambre. Sa tête est remplie de tous ses aveux. Que ce soit ce journal intime dans lequel il n'avait pas écrit depuis des lustres, ses notes en chute libre, son manque de concentration global. Et tout ce qu'il a caché en mentionnant simplement qu'il croit avoir enfin complètement dépassé sa peur des contacts. De son petit-ami, de leur intimité plus que rapprochée, de cet amour qu'il est incapable de formaliser par les mots les plus basiques. Ne pas dire Je t'aime est le cadet de ses soucis. Pour l'heure, il doit reprendre ses révisions. Seulement après avoir rempli son estomac, se convainc-il en franchissant la double-porte.

Le japonais grimpe quatre à quatre les marches puis jette un œil à la salle commune avant de continuer son chemin vers la rangée de portes des dortoirs. U-5 pour commencer. U-103 si Mathéo n'est pas là. Et si aucun des deux n'est disponible, il ne sait pas. Il n'a pas réfléchi aussi loin. Son ventre grogne. Pourvu que la cantine ait un menu à son goût. Sinon tant pis, il se rabattra sur le konbini. Mais a-t-il assez d'argent ? Combien lui reste-t-il jusqu'à la fin du mois ? Et si ses parents décidaient soudainement de ne plus l'alimenter ? Car les premières mauvaises notes qu'il leur a annoncées ne seront pas les dernières. Il n'est pas contre une bataille de boules de neige du moment qu'il n'est pas lui-même emporté dedans. La fraîcheur avec laquelle la nouvelle avait été reçu l'avait tant agacé qu'il avait rétorqué faire du bon travail en tant que président du club de littérature. Ce qui, bien sûr, n'avait nullement impressionné ses parents.

Absorbé par ses pensées, Seito manque de percuter de plein fouet une petite brune. Il freine juste à temps. Lui tournant le dos, elle ne semble pas l'avoir remarqué. Sa serviette se balance à son bras, indiquant qu'elle est en route pour la douche. Alors qu'il la contourne pour lui passer devant, un papier s'échappe de la serviette et tombe à ses pieds. A peine le temps de se pencher pour le ramasser que la jeune fille a presque disparu. Le japonais n'a pas jeté un seul regard sur ce qu'il tient entre les mains qu'il s'exclame :

« Attends, t'as fait tomber ça ! »

Et, comme l'idiot qu'il est, il la poursuit jusque dans les douches des filles. Sans se douter une seule seconde qu'un tel affront déclencherait un séisme.

« Qu'est-ce que- »

Non, il a dû halluciner. Il n'a pas pu voir un... D'ailleurs, qu'est-ce qu'il a vu au juste ? Des poils bouger très vite ? Pourtant la jeune fille n'est pas encore nue. Mon dieu, qu'est-ce qu'il raconte ?! Et où est-ce qu'il se trouve ? Il se souvient l'avoir suivi puis avoir franchi une porte. Mais cette porte, où menait-elle ? Seito regarde autour de lui. Des bancs, des cabines alignées les unes à côté des autres. L'une d'elles entrouverte sur un mur carrelé où un pommeau de douche y est accroché.

MERDE. TRIPLE MERDE.

Est-il demeuré au point de ne pas savoir lire une icône sur une porte ? De toutes les salles où il aurait pu pénétrer, il avait fallu qu'il rentre dans les douches des filles. Des douches, il en a déjà vu. Il constate même qu'elles sont identiques à celles des garçons. Mais toutes ces informations, il s'en fout ! Parce que là, il réalise qu'il est rentré au calme dans les douches des filles après en avoir suivi une. Plus louche tu meurs !

Seito blêmit. Il pose un regard affolé sur la petite brune puis se rappelle la raison de sa venue. Le papier dans sa main subit sa rapide descente aux enfers. Maintenant qu'il y est, autant finir ce pourquoi il se tape la honte de sa vie. Peut-être qu'une fois cet acte de gentillesse accompli, la jeune fille sera clémente et lui accordera le pardon pour avoir pénétré en ces lieux sacrés.

« T-tu as fait tomber... » Et alors qu'il lui tend, il remarque le prix, le code-barres et la marque. Non... Non, non, non. « Une étiquette ?! »

Et, comme s'il venait de prononcer une incantation interdite, le sol se met à trembler. La boule de poils réapparaît pour se lover dans les bras de la jeune fille, ce qui attire immédiatement le regard de Seito. Il croit devenir fou. Dans quelle dimension a-t-il atterri ? A-t-il interrompu les ablutions d'une divinité ? Va-t-il subir– Ferme-la, lui intime la Terre. Soudain à genoux, le japonais percute. Ce tremblement de terre est tout ce qu'il y a de plus vrai.

MERDE. TRIPLE MERDE.

Il réfléchira plus tard à l'animal que cette fille trimballe. Son instinct de survie prend enfin le dessus. D'un rapide état des lieux, il liste les bancs et les lavabos. Il élimine les lavabos dès l'instant où un miroir se brise. Mourir écrasé sous un banc lui plaît moyen. C'est donc rapidement qu'il se recroqueville contre le mur à gauche de la porte. Avec un peu de chance, c'est un mur porteur. Pas le temps de s'en soucier. En boule, la tête à moitié rentrée entre ses jambes, il s'inquiète du sort de la jeune fille.

« Éloigne-toi des lavabos ! »

Nani ? Dans l'incompréhension la plus totale, Seito la dévisage. Se serait-elle pris un fragment de miroir qui aurait paralysé la partie rationnelle de son cerveau ? Ou fait-elle simplement référence à l'étiquette de sa serviette qu'il croyait capitale au point de passer la porte des douches des filles ? Toujours est-il qu'elle se rapproche lentement de lui et que le sol tremble toujours autant. Et soudain, la révélation !

« Mais d'où tu t'souviens de tout ça ?! OH MAIS OUI ! La chanteuse du groupe de Nolan ! Pardon, j't'ai pas du tout reconnu. »

A croire que dès qu'il fait la rencontre d'une étudiante, il finit par en oublier son visage. C'est fâcheux. Il tourne la tête et réalise leur proximité. Heureusement qu'elle n'était pas déjà en train de se déshabiller quand il a débarqué. A cette pensée, ses joues chauffent. Merde. Vivement, il change de direction.

« Je... j'suis désolé d'avoir débarqué comme ça dans les douches. J'ai vraiment cru que t'avais paumé un papier important. A croire que j'suis vraiment le roi d'la serviette. »

Sa plaisanterie semble amuser la Terre car une secousse particulièrement forte le projette contre la jeune femme. Pour se rattraper, il n'a d'autre choix que de plaquer sa main sur son ventre. C'est alors qu'il le sent. Un truc bizarre sous le T-shirt. Un truc qui se déplace. Un truc qui ne devrait pas être là. Son sang ne fait qu'un tour. En une seconde sa main se décale, puis son torse et son corps tout entier. Tout en jetant un regard affolé à la petite brune. Il bégaye :

« Y-Y'a u-un truc s-sous t-ton T-shirt... Ç-Ça bouge... »

Manquerait plus qu'un alien lui sorte du ventre et il sera bon pour rédiger le scénario du prochain film catastrophe.

Comment ça, elle sait ? Seito pose les soucoupes qui lui servent d'yeux pour scruter son ventre. Tant pis si ça ne se fait pas, il y a plus urgent dans la balance. Plus urgent comme paniquer, n'en déplaise à Summer. Parce qu'il se pourrait qu'un drame plus grave qu'un tremblement de terre se produise dans cette salle de bains. Le japonais imagine déjà les gros titres. Son corps flouté sur une image pixelisée. Le pleurera-t-on avant de l'oublier ? Qui assistera à ses fun-

« Ton écureuil ?! Mais qui a un écu– Non, j'veux pas savoir, je– »

Le sol tremble moins fort sous ses fesses mais Seito n'en a plus rien à faire. Surtout quand elle répond à sa question avant même qu'il l'ait formulé. Mais ça ne peut pas être vrai. Un écureuil ne se cache pas sous son T-shirt, c'est impossible. Les écureuils de compagnie, ça n'existe pas. Mais s'il s'avère que si, pourquoi n'en a-t-il pas un ? Il va falloir remédier à cette injustice. Au plus vite. Alors, téméraire, il pousse sur ses mains pour se relever et fait quelques pas jusqu'à la porte.

« Je veux CARRÉMENT voir ton écureuil mais avant, faut sortir de là ! »

Et ce n'est pas une invitation perverse farfelue. Cela semble amuser la Terre qui hoquette puissamment, le projetant contre la porte plus vite que prévu. Son regard est arraché du ventre de Summer pour rejoindre le carrelage où ses genoux s'échouent. Seito serre les dents. Perdre des neurones contre une porte n'était pas prévu dans le plan mais maintenant que le mal est fait, il n'a d'autres choix que de s'avouer momentanément vaincu.

« Putain, il aurait pu prév'nir... » marmonne-t-il en se frottant le crâne.

Personnifier le tremblement de terre permet de décharger son agacement. L'air se faufile entre ses dents alors qu'il redresse le torse. La douleur est une information de son esprit. Avec cette pensée persistante en tête, il enclenche la poignée et pousse la porte de son autre paume. Sans résultat probant. Seito fronce les sourcils et retente. Sa main s'agite crescendo sur la poignée. Haut, bas, haut, bas, rien. Sans se retourner, il lâche la poignée et pose son séant sur ses talons.

« J'ai une mauvaise nouvelle... La porte s'ouvre pas. »

Son humour aide à calmer ses ardeurs si bien que Seito ne se formalise pas sur sa malchance. Il lui faut plus qu'une perte de neurones pour abandonner et ça, le tremblement de terre ne le sait pas. Avoir un avantage sur son ennemi est crucial.

« Ouais, ça va, t'inquiète. »

Dommage que la porte de la salle de bain soit plus redoutable encore. Rien qui ne l'affole dans la minute mais il se pourrait que cela devienne un gros problème à terme. Pour plusieurs raisons, la première étant sa présence dans les douches des filles. La sérénité de Summer le surprend et il tourne la tête pour la dévisager. C'est qu'il faut un sacré courage pour proposer un jeu de cartes en plein séisme. Par acquis de conscience, il retente d'actionner la poignée, sans succès, puis se recule.

« La porte a vraiment pas envie d'jouer, elle. »

Les bras tendus à l'arrière de son dos pour se soutenir, il l'observe investiguer les lieux et constate que les secousses sont bel et bien finies. A croire que la dernière était juste pour sa pomme, maudit Newton et sa gravité ! Son regard revient se poser sur la porte et il réfléchit. Puisqu'il ne veut pas saturer les lignes téléphoniques d'un appel inutile, il doit trouver une solution pour cette porte récalcitrante. Le problème est qu'il n'a aucune idée de ce qui pourrait bien la bloquer.

Imagine, c'est un corps... Ses yeux s'écartent de stupeur. Et il sursaute à l'interjection de Summer, qu'il avait presque oublié derrière son imagination farfelue. Oh ! OH ! Le coup sur la tête le fait voir double ? Un alien a fini par lui sortir du corps ? Va-t-il mourir ici et hanter cette salle de bain comme Mimi Geignarde ? Et là il la voit, la petite tête poilue d'un écureuil. Son visage entier illustre l'ébahissement et c'est bien trop fort qu'il s'exclame :

« OH ! Mais t'as VRAIMENT un écureuil avec toi ?! »

Non pas qu'il remettait en question sa parole mais... en fait si, il n'y croyait carrément pas jusqu'à ce qu'elle lui prouve le contraire. Ce qu'elle fait de la manière la plus drôle du monde. L'impulsion de la surprise le fait bondir sur ses pieds et il ne lui faut que deux enjambées pour la rejoindre.

« Genre t'as pas menti ?! »

Finalement, le japonais n'en a plus rien à faire d'être coincé dans la salle de bain avec cette fille. N'allez pas croire que ses proches sont moins importants mais on parle quand même d'un écureuil de compagnie là. Il y a de quoi être extrêmement curieux ! Tant de questions lui brûlent les lèvres. Son regard alterne rapidement entre les deux têtes.

« Mais d'où t'as un écureuil ?! »