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Yukio Ogawa
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Mar 2 Mai 2023 - 22:32




Tourisme de précision pour amateurs avertis
Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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Adossé aux pentes glissant des Monts Rokko jusqu'à la mer et à la zone urbaine, la distillerie de Monsieur Sato se confondait dans le paysage, et laissait croire à de faux airs de petite bicoque. Situé sur les bords du district de Nada, empiétant sur les zones escarpées et boisées qui faisaient le bonheur des randonneurs en tous genres, le lieu paraissait presque abandonné. Pourtant, ça et là, malgré les quelques tuiles manquantes et la façade passée de mode, il était possible de remarquer quelques signes qui ne trompaient guère. L'herbe de la petite cour, soigneusement tondue, et l'allée qui la traversait, balayée avec le soin tranquille des anciens. Sortant d'un pan de la toiture, une cheminée en inox, qui détonnait parmi les teintes classiques de l'architecture traditionnelle, laissait échapper une légère fumée blanche, trahissant l'activité réelle du bâtiment.

Empreint de sérénité et de respect, Yukio contemplait avec fascination l'aura de mystère qui entourait les murs de la bâtisse à deux étages, laissant son poursuivant du jour dans la gêne et l'appréhension. Quand, enfin, il eut humé avec tendresse la légère odeur nauséabonde qui caractérisait la présence d'une brûlerie fonctionnelle, et se fut imprégné de l'humeur de la rue déserte qui y menait, il rompit le silence. Sourire au visage, il se tourna vers Mathéo, légèrement plus circonspect que lui:


- Allons allons Monsieur Takahashi, un peu plus d'enthousiasme ! L'odeur n'est certes pas des plus reluisantes, et la route fut longue, mais ce que vous avez devant vous, c'est l'une des distilleries les plus anciennes du district de Nada ! Dites-vous qu'ici, on fabrique de l'alcool, c'est quand même sacrément cool ! Vous vouliez une visite guidée hors des sentiers battus et personnalisée, vous l'avez.

Le professeur d'histoire ne sut pas si son élève était trop terrifié pour réagir, ou s'il était juste apathique au possible et n'avait pas encore compris ce qu'il venait de dire. Dans le doute, il poursuivit en tenant des propos qui se voulaient rassurants:

- Le district de Nada est l'un des principaux centres de distillation d'alcool de riz. On y fabrique près d'un tiers de toute la production japonaise. C'est une tradition profondément ancrée dans la région. Ne dites pas que je vous l'ai dit, mais le fait que ça grouille de yakuzas à chaque coin de rue n'y est probablement pas pour rien. On trouve ici des distilleries de toutes tailles. Celle de Monsieur Sato, que vous avez devant vous, est une des plus artisanales. Le gérant est pour ainsi dire plutôt âgé, il ne produit plus que pour le simple plaisir d'entretenir son art et honorer son métier. Il est un peu sourd, alors il faudra parler fort, mais il est adorable. Vous avez une bouille de gendre idéal, il vous laissera peut-être repartir avec une bouteille, ou avec la main de sa petite-fille, parait qu'elle est très sympathique, elle est à peine moins âgée que vous.

L'enseignant se rendit compte qu'il commençait à dériver, et recentra son propos:

- J'ai connu Monsieur Sato dans des circonstances plutôt cocasses. Si vous êtes sage, je vous raconterai. Aujourd'hui, ce bon Sato-sama va nous expliquer son métier avec patience et passion. J'attends que vous vous imprégniez avec déférence de la sagesse et de l'expérience de notre aîné. Bon, vous verrez, il est un peu particulier, mais il connaît son affaire. Songez qu'à 72 ans, ce vénérable gaillard continue de faire tourner son bazar avec la force de l'abnégation. Bon, en vrai, un jour, il m'a expliqué qu'il préférait passer ses journées ici que chez lui, parce que ça lui permettait de se soustraire au regard incriminant de son épouse. Vous la verriez, une vraie harpie la vieille. On comprend qu'il choisisse la fuite le bougre.

Il recentra à nouveau:

- Bref, vous allez avoir une visite guidée rien que pour vous ! Vous avez de la chance qu'il n'y ait plus grand monde dans le club de traditions, ça me permet ce genre d'excursions en binôme. Alors, z'êtes content ?







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Dim 28 Mai 2023 - 0:36

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Un pied après l’autre , une jambe devant l’autre ;  le balancement mécanique de ses bras, la lourdeur de ses pas ; Mathéo avançait, suivant le professeur Ogawa sans le moindre état de conscience. L'esprit entièrement dépeuplé, il chercha en vain à provoquer la venue d’une pensée pour s’occuper et ainsi contourner le silence que lui imposait le référent du club des traditions en marchant. Cependant, celles-ci avaient manifestement toutes été évacuées. Il fut contraint de rester seul avec la lourdeur de son coeur et la migraine qui lui barrait les sourcils. La journée allait être longue.

Il prit une grande inspiration, espérant que l’oxygène nouvellement ingéré l’aiderait. Il n’en fut rien. Alors, il se contenta de suivre le professeur, se laissant téléguider par ses pas. Il était de toute façon trop épuisé pour batailler avec lui-même. Sa nuit avait été courte, tourmentée par ses pensées les plus sombres, et les deux précédentes n’avaient pas été meilleures. Il commençait à manquer cruellement de sommeil. Chaque nuit, depuis la st valentin, les paroles du faux bénévole à qui il s'était confié lui résonnaient en tête : contre-nature, détraqué, taré, malsain… les qualificatifs que le jeune homme lui avait accolés ne manquaient de le tourmenter. Depuis leur échange, il n'avait eu aucun jour de répit. Il n’était retourné dans aucun de ses clubs, fuyant les autres comme la peste. Il se sentait trop sale, trop exposé pour leur survivre et même si cela était idiot, il avait une peur terrible de le voir débarquer dans l'un de ses clubs sans prévenir. Si cette sortie du samedi n’avait pas déjà été prévue par Ogawa Sensei et si le club des traditions ne manquaient pas autant de membres et d’occasions d’exister, il serait volontiers resté une journée entière dans son lit. Tel un animal blessé, il avait besoin de se soustraire du monde, de rester caché.  Il ne pouvait même plus dire qu’il était triste. A trop pleurer, la tristesse avait fini par le quitter, laissant place à un vide des plus douloureux. Sans doute son corps avait-il besoin d’une pause, ses glandes de Meibomius de repos et ne pouvait-il plus compter sur ses glandes lacrymales pour le soulager de ses émotions envahissantes. « momentanément hors service » devait être notifié quelque part entre ses cils.

Son corps finit par s’arrêter, l’obligeant à relever ses yeux fatigués vers le professeur Ogawa qui semblait lui parler, le sourire aux lèvres. Il lui fallut quelques secondes pour réussir à revenir du monde des morts et à entendre sa voix circuler entre ses lèvres qui jusqu’à présent lui paraissaient gesticuler sans raison. Il porta ses doigts à son nez pour se le boucher, attaqué par ses propres perceptions réveillées. Qu’est-ce que racontait le professeur ? Il avait encore du mal à se concentrer.  Ah, oui, la distillerie de riz, cela expliquait l’odeur. Il jeta un œil devant eux pour observer celle-ci. Elle ne payait vraiment pas de mine… mais il devait lui reconnaître un charme certain. Manquant d’air, il fut tout de même contraint de relâcher ses narines pour en respirer les effluves. De toute façon, cela ne pouvait pas être pire que celle que devait dégager son aura. Si tant est qu’une aura puisse avoir une odeur.

Lorsque le professeur lui avait proposé une expédition de club en duo, il ne s’était vraiment pas attendu à finir devant une distillerie. Ogawa Sensei avait au moins l’art de surprendre ses étudiants. Il tâcha d’écouter ses explications avec attention, regrettant néanmoins ses efforts lorsque ce dernier le qualifia de « gendre idéal » et se mit à divaguer sur la possibilité que le gérant puisse lui offrir la main de sa petite fille. Il grimaça, oubliant momentanément de garder en place sa poker face. S’il y avait quelque chose dont il n’avait pas besoin aujourd’hui, c’était précisément que l’on puisse espérer quoique ce soit de lui et plus encore avec une femme. Heureusement, le bavard référent reprit sur ses explications, plus sérieux. Il aimait bien Ogawa sensei mais ce dernier avait le don de déblatérer plus que nécessaire. Lorsqu’il lui demanda s’il était content d’être là, Mathéo ne pu qu’hocher la tête. Il ne pouvait décemment pas lui avouer qu’il aurait préféré rester au lit. « Oui, j’en suis même honoré. Merci beaucoup, Sensei. Nous n’avons pas tellement l’occasion de nous intéresser à ce type de savoir-faire au club étant donné qu’il comporte des mineurs. Je suis ravi de pouvoir en apprendre davantage aujourd’hui. J’ai hâte de découvrir l’art de monsieur Sato. C’est admirable qu’il soit toujours en mesure de le parfaire à maintenant 72 ans, je suis impatient de le rencontrer » répondit-il. A priori ses capacités de cirage de pompes étaient toujours opérationnelles, elles. « Est-ce que je dois prendre des notes pour le club ? » demanda-t-il en laissant tomber son sac à dos de son épaule, déjà prêt à sortir son calepin. « Oh… et… Professeur. Si vous pouviez éviter de lui parler de sa petite-fille… Cela m’arrangerait. Vous savez, j’essaye de me concentrer sur mes études. Je n’ai pas le temps pour les femmes. », il ajouta, juste au cas où il aurait s’agit de plus que d’habituelles divagations de sa part.





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Mar 30 Mai 2023 - 23:45




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Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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Le gamin passait la brosse à reluire comme un forcené de la flamboyance. C'était indécent au point que même son accompagnant du jour, roi des dithyrambistes au pays des caudataires, s'en trouvait gêné. Quelque chose n'allait pas. Lustrer les bottes de ses professeurs, voilà qui était de bon ton, mais l'on avait pas idée de leur renverser sur les chaussures tout le pot de cirage. Soit Mathéo manquait définitivement de subtilité dans son art de la génuflexion, soit quelque chose venait perturber l'étalage de son obséquiosité. Yukio fut traversé, furtivement, par de multiples pensées. En premier, il eut envie de signifier au petit qu'on n'apprenait pas à un vieux singe à faire la grimace. Le professeur avait fait une thèse et il était universitaire: en termes de flagorneries hypocrites, ça n'était pas une vingtaine d'années en manifeste gueule de bois émotionnelle qui allait lui expliquer les choses. En second, il eut envie de prendre la voix d'Akiko Nakamura et de se mettre à chanter Amai Sasayaki. D'une voix inaudible, il murmura, en suivant le tempo dans sa tête:

- Parole, parole, munashisugiru sasayaki ne...

Le gamin renchérit, demandant s'il devait prendre des notes. Vil petit bonimenteur. Courtisan cauteleux que ce disciple chafouin. Il essayait de prendre son précepteur par les sentiments. Le genre de questions qu'on posait à un professeur juste pour se faire bien voir. Quel enseignant malade aurait l'idée de répondre qu'il ne fallait rien noter ? Il maitrisait le sous-texte pédagogique le rossard estudiantin. Pirate va ! Avec ses trois poils sous le nez, voilà qu'il se prenait pour Barbe Bleue. Pouvait-on seulement aller plus loin dans les courbettes de chattemites ?

Visiblement, oui, on pouvait. Voilà que le gaillard refusait les propositions matrimoniales au prétexte de se concentrer sur ses études ! Suprême cagotisme empreint de fausseté. Imposture ! Tartufferie ! Basse tactique de pharisien forceur ! Il y avait quelque chose là-dessous. Ce n'était pas l'anguille sous la roche, c'était baleine sous gravillon, à n'en point douter. On ne la lui faisait pas, au Yukio, il savait encore voir les envies fromagères chez les renards aux pieds des arbres à corbeaux.

Tant suspicieux qu'ironique, il invita d'un signe son élève à le suivre vers la porte de la distillerie, tout en lançant, à peine réprobateur:


- Mollo sur la pommade camarade Takahashi, vous avez le cirage au bord des lèvres. Si j'avais eu besoin qu'on me glace les souliers, je vous aurais au moins fourni la brosse. Puisque vous avez l'air profondément passionné par notre activité du jour, vous prendrez des notes, et vous ferez un exposé détaillé aux autres membres du club.

A malin, malin et demi. Le retour de flammes passerait peut-être l'envie à Mathéo d'encaustiquer des mocassins. On ne pouvait pas toujours s'en sortir en frottant du croquenot.

Arrivé devant la porte, le professeur d'histoire toqua d'une main pleine de gravité, comme recentré par l'appréhension de rencontrer un maître prêt à transmettre son savoir. Malgré la lourdeur de son action, il décida de la doubler. Le vieux n'avait plus l'oreille très performante. Plein d'attente, il en profita pour darder innocemment:


- Vous avez l'air d'avoir quelque chose sur l'esprit. Depuis tout à l'heure, vous regardez les mouches voler comme si elles pouvaient vous sauver de vos turpitudes. On dirait un entomologiste drosophiliaque, et je préfère vous préciser que ce n'est pas vraiment un compliment. C'est quoi le bail ? Vous vous êtes fait briser le coeur ? Vos parents ont découvert que vous fumiez ? Ou bien vous avez juste pris votre premier coma éthylique hier soir et là vous luttez pour ne pas rendre votre repas sur mon costume italien ?

Il allait sûrement falloir lui tirer les vers du nez. Qu'importe, en matière de vers, Yukio se faisait un devoir d'être généreux dans sa prose, et il y avait manifestement un problème avec l'attitude de Mathéo. On ne savait pas trop s'il était triste ou juste complètement détaché, mais dans les deux cas, ça n'était pas tip top l'autostop. Le vieux allait mettre un moment à se pointer, autant en profiter pour crever l'abcès, et tenter de mécher le tout au Dakin, à vif. Ce ne serait sûrement pas très agréable, mais c'était mieux que de fermer les yeux, et laisser les pensées du jeune Takahashi partir à la dérive.







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Ven 23 Juin 2023 - 21:42

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Dire qu’il était outré n’aurait pas été correct. Brusqué ? Non plus. Offusqué ? Cela s’en rapprochait. Mathéo brandit des yeux plein d’incompréhension sur le jeune professeur. L’image qu’il venait de lui renvoyer était tout sauf reluisante, elle était même plutôt dégradante. Qu'avait-il fait de si terrible pour mériter de voir son estime de lui-même se faire dégrader de la sorte ? Depuis quand les professeurs s’indignaient-ils des considérations sérieuses d’un élève ?? Toutes aussi pompeuses furent-elles.

Il reçut les mots du jeune homme avec fracas, en ressortant grandement humilié. L’image était si forte qu’il eut à se retenir de nettoyer ses lèvres de la substance que le professeur l’accusait d’utiliser pour lui… quoi… ? Lécher les bottes ? Ogawa-sensei ne pouvait le savoir mais l’idée était doublement perturbante pour lui. Doublement désagréable. Doublement dissonante.

« Bien. » déclara-t-il en recevant ses devoirs, presque insolent de part le ton convaincu de sa voix. La situation n’en devenait que plus gênante. L’enseignant pensait-il le punir en lui assignant cette tâche ? Si tel était le cas, il se trompait grandement. Le club de tradition peinait tellement à garder ses membres et à en recruter de nouveaux qu’il ne lui paraissait pas raisonnable de priver ceux qu’il restait de potins traditionalistes. Prendre des notes et en faire le récapitulatif aux autres de ses camarades était la moindre des choses, du moins pour lui. Il se serait néanmoins passé de sa remarque disgracieuse, il en avait déjà eu son lot pour le mois. Sans un mot de plus, il suivit le professeur jusqu’à la porte d’entrée, se rangeant sagement à ses côtés. Puisque leur présence fut signalée par les coups donnés contre la porte, Mathéo se pensa préservé du pire. Un seau de boue venait de lui être jeté dessus, le référent du club pouvait bien s'en satisfaire pour la journée. C'était sans compter son talent pour le piquer, pile poil là où cela faisait bien mal. Tel un arracheur de dents sans diplôme pour justifier de la souffrance qu'il infligeait aux autres.

Etait-ce parce qu’il était épuisé qu’il le trouvait tout particulièrement désagréable, aujourd’hui ? Le professeur lui avait toujours parut gênant mais la plupart du temps cette gêne lui était amusante, voire même divertissante. Ce jour ci, il ne pouvait s’empêcher d'en être agacé. « Je n’ai pas une vie si passionnante, désolé de vous décevoir, Sensei. » rétorqua-t-il, ne laissant rien paraître de son mécontentement. Qu'y avait-il de si mauvais à se montrer poli et courtois envers son référent ? Et puis, n'avait-il pas le droit d'être de mauvaise humeur ? Est-ce que cela aussi, cela lui était interdit ??

« Est-ce si difficile de croire que je suis fatigué parce que je révise durement pour mes futurs examens ? Ne vous ai-je pas convaincu de mon sérieux depuis le début de l’année ? » demanda-t-il, tout en fixant la porte, le ton plus robotique encore. « Je m’excuse si mon humeur et mon état vous dérangent, je vais faire les efforts nécessaires pour qu’ils n’entachent pas notre journée… Je suis fatigué mais pour autant, je suis sincèrement ravie d’être ici avec vous aujourd’hui ». Ajouta-t-il, pivotant un peu vers lui pour s’incliner brièvement. Pour une fois, il prenait un malin plaisir à en faire trop. Puisqu'Ogawa-sensei était contrarié par sa politesse et avait décidé de s'en montrer insultant, il allait se faire lécheur de pompes professionnel. Mieux encore, il les lui lécherait jusqu'à ne plus avoir de salive !  





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Dim 25 Juin 2023 - 18:08




Tourisme de précision pour amateurs avertis
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Musique d'ambiance

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Jeune damoiseau pris en défaut avait décidé de se faire courtisan. A la manière d'un sociopathe cauteleux amadouant sa cible pour mieux la poignarder, Mathéo se confondait en courbettes si exagérées et hypocrites qu'elles en devenaient presque insultantes. Le gamin était un étrange mélange de miel et de sel. Il noyait sous des flots sirupeux d'ambroisie les arêtes saillantes et coupantes de son acrimonie. En quelques sortes, c'était mignon. Il y avait dans la démarche du marmouset une approche profondément espiègle de la praxis. Visiblement, l'étudiant avait compris que l'on pouvait faire ployer un système en l'engageant dans la rencontre de ses contradictions internes, et qu'il y avait une certaine ironie à faire s’effondrer des constructions de cette manière plutôt qu'en les balayant sous le poids d'une brutalité simpliste. Yukio ne put s'empêcher de sourire. Il avait lui-même cette malice chevillée à l'esprit, et se faisait toujours un malin plaisir d'user des procédures contre ceux qui les avaient créées.

Dans sa vie, il avait obtenu de la sorte bien des choses. Rien que la semaine précédente, il avait rendu service à sa sœur, et décroché un permis de construire à son profit, en un temps record. Constatant qu'en plus des pièces requises, la procédure permettait de joindre au dossier des justificatifs de toutes natures, il avait noyé le dossier sous une avalanche de paperasses et certificats en tous genres, rendant difficilement localisables les documents réellement utiles. Portant à la mairie une pile de papier de plus de treize kilogrammes, et la déposant avec un grand sourire, il avait vu le préposé à l'urbanisme se décomposer. En définitive, le dossier avait dû être étudié avec une certaine légèreté, et lu en travers, car personne n'avait remarqué qu'il y manquait, sur le fond, un certain nombre de choses. Le système était parfaitement idéal, les hommes qui l’incarnaient ne l’étaient jamais. Qui savait en jouer pouvait déplacer des montagnes ou, plus prosaïquement, se construire une maison.
C’était un peu comme regarder la manière dont les adresses courriel d’une administration étaient construites, puis trouver un organigramme, et croiser les deux pour écrire directement à la tête, en shuntant tous les intermédiaires. Work smarter, not harder…

Le professeur d’histoire sentait naître en lui un certain respect pour Mathéo. Le petit avait compris la vie, il irait loin, mais il devait apprendre que des fois, ça ne marchait tout simplement pas, et que le fait de pouvoir lire le code de la matrice ne garantissait pas toujours de pouvoir la changer, ou même la manipuler.

Constatant avec amusement que son élève s’était décidé à lui baver sur les chaussures jusqu’à s’en évanouir de déshydratation, Yukio décida d’en profiter, et sous des airs d’humilité fallacieuse, se mit à déclamer :


- Vous m’émouvez Mathéo. Je vous sais sérieux, et que vous soyez frappé par la fatigue me conduit malgré moi à des élans de commisération. Et tout cela par pur dévouement à vos études. Vous êtes admirable, vraiment. J’ai vu des mères célibataires en cumul d’emplois moins courageuses. Vous êtes un bourreau de travail, et je m’en voudrais sincèrement si vous en veniez à laisser votre santé être affectée par de trop longues heures à l’étude.

Il fit une légère pause, ménageant son effet de manche, puis reprit :

- Vous avez besoin de vous détendre. Trop de travail tue le travail, et vous méritez bien un peu de repos. J’imagine sans peine que ces nuits entières passées sur les lignes de vos cours ne vous laissent que peu de temps pour sympathiser avec qui que ce soit, et que vous devez vous sentir horriblement seul. Il vous faut du contact humain, sans quoi vous allez vous effondrer sous le coup de l’épuisement. C’est une décision dont vous me remercierez plus tard, mais vous savez quoi ? Nous allons vous introduire auprès de la petite-fille de Monsieur Sato, ça vous fera au moins une fréquentation et ça vous sortira un peu le nez de vos cahiers.

Il écarquilla artificiellement les yeux, comme pour montrer ostensiblement qu’il était impatient que la porte ne s’ouvre, puis il frappa de nouveau, en soupirant d’attente, laissant ses paroles se frayer un chemin jusqu’au cerveau de son élève. Il attendit un peu, juste histoire que ses mots aient provoqué une réaction, puis ajouta, sur un ton redevenu bien moins théâtral :

- Bon. Au-delà des plaisanteries, si vous voulez rien baver de ce qui vous empêche de dormir la nuit, c’est vous que ça regarde, mais dites vous bien que quoi que vous ayez fait, j’ai fait pire. Et pour ainsi dire, quoique vous soyez, j’ai été pire. Si un jour, vous prenez conscience du fait que tout garder pour soi est le meilleur moyen de se rendre malheureux, et qu’il vous faut vous confier, ma porte sera ouverte.

Et comme il parlait de porte ouverte, celle qui leur faisait face se mit à pivoter, tout doucement.







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Sam 8 Juil 2023 - 0:42

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Le jeune professeur se lança dans une tirade que Mathéo trouva plus lourde que le poids du manque de sommeil qui lui pendait sous les yeux depuis trois jours. Chaque mot du référent se voulait mielleux à en faire une crise de diabète, cherchait à le flatter sans que cela ne puisse l’atteindre, lui aussi était du genre à être imperméable aux louanges et autres mirages. Sans doute, l’enseignant et lui avaient plus en commun qu’il ne leur semblait. Et, si sa politesse lui éraflait autant les oreilles, il comprenait qu’Ogawa-sensei lui renvoi l’ascenseur après en avoir coupé les cordes. Il s’était rarement senti aussi peu pris au sérieux et insulté.

Fixant toujours la porte d’entrée, Mathéo eu bien du mal à conserver son masque d’impassibilité, s’efforçant de ne pas froncer les sourcils. Mieux valait ne rien répondre du tout et encaisser la tempête à la force des bras plutôt que de prendre le risque d’avoir à perdre son sang froid devant son professeur. Il n’avait jamais apprécié le conflit et quand bien même il rencontrait parfois des élans d’arrogance et d’agressivité passive bien placée, l’étudiant était suffisamment perspicace pour savoir quand se rendre. A ce jeu là, il avait compris qu’il ne gagnerait pas. Il n’avait pas l’énergie pour tenir la distance et chaque nouvelle attaque contre sa personne, toute aussi airbaggisée était-elle, venait ricocher sur les brisures causées par le faux bénévole tout autour de son coeur. Il n’était pas certain de pouvoir en tenir de nouvelles.

Seule l’évocation d’une rencontre éminente avec la petite-fille de monsieur Sato le poussa suffisamment dans ses retranchements pour lui en faire lâcher son masque d’impartialité et oublier ces mauvais souvenirs. Il jeta un regard catastrophé sur son référent, terrifié de constater que les choses pouvaient se retourner ainsi contre lui. « Ce n’est vraiment pas nécessaire, Ogawa-sensei.» insista-t-il, les muscles crispés jusqu’aux deux pieds, envoyant une multitude de S.O.S à l’univers. Il avait réellement besoin de tout sauf de rencontrer une jeune femme aujourd’hui. Heureusement, l’enseignant avorta sa plaisanterie avant qu’un plus grand malheur ne puisse s’abattre sur le pauvre Mathéo. Ce dernier retrouva de sa constance, s’érigeant de nouveau en piquet face à la porte d’entrée, tachant de se remettre de sa frayeur en écoutant les mots se voulant bienveillants du jeune enseignant. Il gonfla d’air ses poumons en comprenant qu’il cherchait à le réconforter et expira péniblement par le nez. Assurément, Ogawa-sensei n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait traverser actuellement. Il n’y avait pas non plus la moindre chance qu’il puisse être pire que lui. « Ce n’est pas aussi simple » aurait-il souhaité répondre, mais la porte s’ouvrit enfin, laissant à découvert un vieux monsieur. « Bonjour, Sato-sama. Merci de nous recevoir » déclara-t-il sans trop réfléchir, s’inclinant bêtement en prime. L’ensemble de ses neurones avaient préféré fuir le plus loin possible. Il jeta tout de même un œil au professeur pour obtenir confirmation qu'il s'agissait bien du vieil homme attendu et pour lui laisser l'occasion de continuer.  





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Mar 18 Juil 2023 - 20:11




Tourisme de précision pour amateurs avertis
Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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Yukio s'en voulait un peu. Mathéo avait quelque chose sur le cœur, et le tancer n'avait pas provoqué la réaction qu'il aurait souhaité. Taper sur la coquille l'avait plutôt refermée qu'ouverte. Ce n'était pas vraiment le but recherché, et l'étudiant affichait, dans de rares instants d'égarement, pleins de sincérité transperçante, les traits préoccupés d'une personne à la poitrine bien trop alourdie pour se détendre. Aux grands maux les grands remèdes. De manière aussi fugace que sérieuse, le professeur envisagea de charger la dégustation qui suivrait la visite. In vino veritas. L'alcool pourrait peut-être délier la langue de son jeune élève. Le regard légèrement pensif, l'enseignant se ravisa. On lui avait déjà signifié que ce n'était pas correct de provoquer l'ivresse des personnes qu'il avait sous sa responsabilité. Il n'était pas forcément convaincu, mais devant l'éternité, parole donnée ne se reprenait pas. Après tout, il appliquait sans les comprendre nombre de règles absconses, dont il n'avait jamais saisi le substrat profond. Il avait parfois l'impression que la compréhension des implicites ne lui était pas naturelle, qu'elle ne se faisait qu'au prix d'un effort émotionnel constant, d'une analyse consciente aboutissant à l'édiction dans ses fonctionnements internes d'interdits et d'obligations formalisés. Produire cet effort, tant d'analyse que de suivi intentionnel et volontaire des règles internalisées à la manière d'une leçon scolaire, lui était couteux. Le soir, d'avoir trop fréquenté ses prochains, il s'effondrait, épuisé comme un coureur de fond, ne sachant se ressourcer autrement qu'en se baignant dans une solitude réparatrice, éloignée de toute norme sans fondement purement logique.

Bien qu'en apparence parfaitement à l'aise socialement, le rapport peu inné qu'entretenait Yukio aux sous-textes tacitement convenus, le confinaient, sans prise de recul, à des réflexes empreints de premier degré, et à des actes parfois incompréhensibles et erratiques, fruits tardifs d'une lacune dans ses apprentissages conditionnants. Une part de la déroute mentale qu'il infligeait à ses contemporains trouvait ici sa source. Le professeur d'histoire n'agissait jamais de manière inappropriée que parce que personne ne lui avait imprimé dans le cerveau par des paroles qu'il convenait d'agir, dans une situation donnée, d'une manière correspondante.

Incliné devant Sato-Sama d'une manière encore plus déférente que son pupille déjà pourtant porté sur les courbettes, Yukio songeait aux manières de réaliser la quadrature du cercle. Mathéo était recroquevillé dans son humeur, peu désireux de partager quoi que ce fût, couvert de sa tourmente comme d'un manteau, et refusait de s'ouvrir. En y réfléchissant, nul besoin impérieux ne nécessitait de le faire parler, et s'il préférait garder pour lui la moelle de son malheur, insister ne servirait à rien. Il fallait peut-être juste laisser tomber. C'était une des leçons apprises par cœur: parfois, il fallait juste laisser tomber, et attendre que les choses se passent.

Maître Sato, de sa voix malicieuse, les fit entrer. Il se mouvait avec une aisance qui ne correspondait pas tout à fait à ses traits ridés, glissant sur le parquet comme s’il s’était agi d’une patinoire. Connaissant en détails chacun des morceaux de bois, de papier ou de métal qui composaient le bâtiment, il s’y déplaçait sans difficultés, évitant les poutres à hauteur de visage sans même les regarder. Ce n’était pas le cas de Yukio, qui faillit plus d’une fois se lancer dans des contacts brefs et rapprochés avec de perfides étançons, manquant parfois de justesse la percussion.

A pas rapides, le gaillard les guidait déjà vers la première étape de leur excursion, dans des odeurs toujours aussi surprenantes. Tout en sautant de planche en planche comme un vieux singe en mal de grimaces, Monsieur Sato débitait des paroles d’une voix a priori constante et monocorde, mais par brefs moments traversée de haussements de tons incompréhensibles :


" Brasser le saké est une tradition ancestrale ! On appelle un brasseur de saké un « kurabito », et un chef de brasserie un « toji ». Auparavant, nous étions plusieurs à travailler ici, mais les petites productions artisanales ont du mal à rivaliser avec les brassages à échelle industrielle. "

S’arrêtant soudain devant une sorte d’énorme chaudron fumerolant, monté sur un axe basculant, cerclé de cordages, et couvert par une sorte de drap blanc. Il s’égaya avec passion :

" Tout commence avec la cuisson du riz dans cette marmite, ça s’appelle un « koshiki ». Après avoir été patiemment lavé la veille, le riz y est cuit à la vapeur. Il s’agit d’une variété de riz spécifiquement adaptée à la création du saké. Ce koshiki est déjà assez gros, mais dites-vous bien qu’il est en fait assez petit, car je ne pourrais pas m’en occuper seul sinon. Les plus gros chaudrons de la sorte peuvent atteindre des capacités équivalentes à plusieurs centaines de kilos de riz. Le riz cuira dans le koshiki pendant une heure. Le temps de cuisson peut un peu varier, car brasser du saké, ce n’est pas une science exacte. L’expérience du brasseur jouera énormément à chaque étape. Par exemple, il faut avoir l’œil et le nez pour voir à quel moment retirer le riz du trempage, ou pour voir à quel moment la cuisson paraît parfaite. "

Il continua, indifférent au rythme qu’il imposait à toute prise de note de la part de ses visiteurs :

" Pour vérifier la cuisson du riz, on peut aussi en prendre un petit peu entre les deux mains et le malaxer, pour en faire une sorte de mochi. On appelle ça le « hineri-mochi ». Avec le temps, on apprend à reconnaître quelle est la texture que doit avoir le riz en sortie de cuisson. Dès que le riz est cuit comme il faut, on le sort et on le refroidit sur la table juste là. Il faut qu’il redescende en température assez rapidement, pour en quelque sort le figer dans l’état de cuisson où il est. "

Maître Sato s’interrompit assez soudainement, sans autre forme de cordialité. Ce n’est que quelques secondes plus tard que les deux touristes comprirent qu’il avait fini de parler et attendait éventuellement des questions avant de passer à la suite. Le vieux avait le regard dur, comme suspicieux et prêt à les houspiller dans le cas où aucun des deux comparses n’aurait eu la bonne idée d’émettre une interrogation. Plongé dans ses pensées, Yukio avait un blanc dans le cerveau. Il se tourna donc à son tour vers Mathéo, les yeux paniqués, qui criaient à la face du monde :

* Vas-y frère, moi j’ai rien suivi c’est à toi de poser une question. *







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Sam 29 Juil 2023 - 0:52

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

L’aisance avec laquelle se mouvait monsieur Sato ne manqua pas d’impressionner Mathéo. S’il pouvait surfer ainsi sur le monde à un tel âge, il se dit qu’il s’estimerait sans doute heureux d’avoir réussit sa courte vie. Malheureusement, il eut à faire face au triste constat de la réalité : à tout juste 20 ans, il avait déjà bien du mal à suivre l’énergique grand-père. Se faufilant derrière lui et Ogawa-sensei, il observa ce dernier peiner autant que lui à suivre les pas du vieillard, manquant de se manger des poutres sur son passage, ce qui provoqua en lui une satisfaction quelque peu sadique. Il n’eut pas l’occasion de s’en réjouir bien longtemps néanmoins, rapidement pris de court par le rythme de parole soutenu de l’artisan, qui mine de rien avait un sacré débit. Armé de son carnet et de son stylo, il fit de son mieux pour prendre consciencieusement en note chaque information que leur partageait le maitre brasseur. Ceci fut loin d’être une mince affaire. Il avait rarement eu à écrire aussi vite et son pauvre cerveau eut un mal fou à trier de manière si soutenue les données que sa frêle mémoire tenta de contenir. Son manque de sommeil se fit davantage sentir.

A plusieurs reprises, il fut contraint de laisser quelques trous, comptant sur sa capacité d'après-coup à combler les lacunes évidentes de sa concentration. Les odeurs néfastes des diverses breuvages qui macéraient dans les cuves n’aidaient franchement pas.

Il fallut plusieurs secondes à Mathéo pour comprendre quand lâcher son carnet lorsque monsieur Sato s’arrêta de parler. Le drôle de silence qui leur imposa brusquement l’obligea à relever les yeux sur lui et Ogawa-sensei dont l’expression du visage provoqua en l’étudiant le pire malaise qu’il soit. « Vous abusez Ogawa-sensei ! » le toisa mentalement ce dernier en comprenant qu’il s’en remettait entièrement à lui pour donner le change au vieillard. Un rapide coup d’oeil sur monsieur Sato finit de sceller son destin. Le regard sévère de celui-ci laissait à penser qu’ils finiraient tous les deux dans l’une de ces cuves s’il n’était pas en mesure de le contenter de questions. Le problème étant qu’il n’en avait pas, il n’avait pas eu le temps de réfléchir et de s’en poser. Entre noter et penser, il avait du choisir !

« … hum… Sato-sama…. Du lavement du riz jusqu’à la cuisson et enfin le refroidissement… combien de temps s’écoule-t-il ? » demanda-t-il sur le vif. C'était la question la plus simple et évidente à poser. Il espérait ainsi avoir quelques secondes de répit pour en choisir des plus pertinentes. Ses yeux s’abaissèrent sur ses notes pour en examiner rapidement le contenu, isolant à une vitesse folle les mots-clés possibles qui lui permettraient d’enchainer sur d’autres questions : « Aussi, vous nous avez dit utiliser un riz spécifique. Pouvez-vous nous en dire plus ? Qu’est-ce qui le rend meilleur pour faire du sake par rapport à un riz traditionnel ? ». Et puisqu’il savait que deux n’allait jamais sans trois, il conclut avec une troisième question. « Et enfin, si je peux me permettre une dernière question Sato-sama… Pourquoi l’étape de la cuisson et du refroidissement sont-elles si importantes ? Ce n’est pas seulement la qualité du riz qui donnera son goût au sake ? ». Il envoya un rapide coup d’oeil à Ogawa-sensei. « Vous m’en devez une » dirent ses yeux.  





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Jeu 17 Aoû 2023 - 21:44




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Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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Tandis que Mathéo posait ses questions, se débattant avec ses notes comme un gamin attaqué par un chat enragé, Monsieur Sato se mit à froncer les sourcils, renvoyant ce qui semblait être un agacement consommé. A l'observation des mimiques attristées de leur guide, Yukio se sentit soudainement soulagé de ne pas lui-même avoir eu à se mettre en avant. Mathéo allait prendre la foudre à sa place, comme un joli paratonnerre à rayonnements ionisants, et pour la crédibilité du professeur d'histoire, mieux valait que les choses se passent ainsi. Comme aurait dit l'autre, des fois, y'a pas le choix, faut sacrifier les jeunes. Les traits légèrement crispés, l'enseignant attendait le déchainement des éléments avec une certaine raideur. Par précaution, et pour faire honneur au sacrifice de son étudiant, il avait reculé d'un bon pas: les plus courageux devant, par dessus le parapet de la tranchée, il serait toujours temps de leur décerner des médailles après qu'ils se se soient faits fauchés par la première rafale de mitrailleuse. A Mathéo, la patrie reconnaissante, ça allait lui faire une belle jambe.

Cependant, et contre toute attente, du moment où le brasseur se mit à ouvrir la bouche, ses traits se décontractèrent, trouvant un air tout à fait affable, tandis qu'il s'engageait dans des paroles tout à fait paisibles et riantes:


" Je vois que vous êtes tout à fait intéressé et que vous avez écouté avec attention jeune homme, si vous saviez comme ça me fait plaisir. "

L'espace d'une moitié de seconde, Yukio se vit interloqué, mais, retombant rapidement sur ses pattes, il refit un pas en avant, se replaçant discrètement et innocemment aux côtés de son élève. Monsieur Sato, de son côté, était déjà parti dans des réponses envolées:

" Du lavement du riz jusqu'à son refroidissement, je dirais qu'il s'écoule bien moins de 24 heures. Comme j'ai pu le dire, ce n'est pas vraiment une science exacte, et c'est l'expérience du brasseur qui saura faire la différence. Pour ce qui s'agit des variétés de riz, il y en a en fait plusieurs qui peuvent servir pour le brassage du saké. On les appelle " sakamai ". Ces variétés sont issues de croisements ou d'hybridations qui permettent d'obtenir un riz plus favorable au procédé. Les variétés de riz sakamai ont plusieurs particularités, mais l'idée globale est qu'elles produisent des grains de riz plus gros, plus riches en amidon, et absorbant mieux l'eau. S'agissant de l'amidon, c'est lui qui sera transformé en glucose par les enzymes et micro-organismes à l’œuvre lors du procédé de brassage. Il faut donc un riz suffisamment riche en amidon et dont l'amidon saura se mélanger de manière "homogène" au brassin. La qualité du riz revêt donc, évidemment, une importance première, mais le riz n'est que le papier sur lequel le brasseur saura inscrire sa poésie. "

Il fit une légère pause avec un air inspiré, puis reprit:

" Comprenez bien, la cuisson va permettre de "détendre" les chaines moléculaires de l'amidon. Il ne vous aura pas échappé que digérer du riz non-cuit est assez compliqué. Pour les micro-organismes que nous allons utiliser pour produire le saké, c'est un peu la même chose: le fait d'avoir un amidon déjà attendri par la cuisson va leur permettre de le transformer plus facilement. Le saké, c'est un peu entre la chimie et l'artisanat. Dans ce cadre, le koji, qui est un champignon que nous allons utiliser pour transformer le riz, a une température de croissance optimale. Il faut donc refroidir le riz, puis le placer dans une pièce dont la température est régulée, et dans lequel nous pourrons "cultiver" le koji sur le riz en le plaçant dans les conditions favorables à son développement. Notre prochaine étape est donc le kojimuro, veuillez me suivre. "

Et il repartit en trottinant.

Le professeur glissa à Mathéo, sur un air magnanime et chevaleresque:


- Et bien, heureusement que j'étais là pour nous sauver la mise. On aurait eu l'air fins sinon.






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Sam 9 Sep 2023 - 0:06

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Ils venaient d’échapper au pire, sauvés in extremis par ses capacités cognitives. Durement entraînées tout au long de l’année, celles-ci avaient su outrepasser l’épuisement de son corps et le stress généré par la couardise de son enseignant, traitant les informations avec rapidité et rigueur, isolant les données pertinentes pour mieux les recracher, mâchées et transformées, en questions pour le vieil artisan à l’œil intransigeant. Alors, quand Ogawa sensei plaisanta sur son implication chanceuse, Mathéo en perdit son impassibilité. Il n’était pas même convaincu qu’il s’agissait là d’une plaisanterie. Tout, même un culot sans nom, lui semblait possible avec le professeur. Un lourd soupire exorcisé, des yeux lasses et tout à fait jugeants, une légère courbette pour soutenir son référent dans sa tentative de ne pas perdre la face et il tourna les talons, poursuivant Monsieur Sato, sans un mot. Vraiment… Il ne manquait pas d’air ! « Un merci, ce n’est pas si difficile à dire... » ronchonna-t-il intérieurement.

Les conditions climatiques de la pièce suivante lui firent néanmoins lâcher toute rancœur. Il y régnait une chaleur étouffante, digne d’un mauvais jour d’été. L’humidité ambiante n’arrangeait rien, lui collant à la peau pour mieux le débarrasser lui-même de tout liquide aqueux. Quelques secondes passées à écouter le vieux Sato fanfaronner de nouveau et il était déjà en âge. Cette fois, il du sacrifier de sa concentration, le temps de retirer sa doudoune. L’idée de finir lui-même consommable en bouteille ne l’enchantait pas.

« Le passage du riz dans le kojimuro est des plus importants. La salle doit être chauffée à 35 degrés et maintenir une humidité constante, sans quoi le koji-kin ne proliféra pas. Mais tout le riz n’y passe pas, nous n’en prélevons qu’une partie, 20 % tout au plus. Comme vous pouvez le voir ici, celui-ci est étalé puis saupoudré de Koji-kin équitablement. On le laisse reposer ainsi environs 48h. Si les conditions sont bonnes, ces champignons créeront des enzymes qui permettront de briser l’amidon du riz et de le transformer en sucre. On appelle ce procédé la saccharification. Lorsqu’on le récupère, il ressemble davantage à cela, une sorte de bouillie. C’est cette préparation qu’on appelle le Koji. »  

Mathéo, qui s’efforçait désespérément de prendre le tout en notes malgré sa gorge et ses narines attaquées par la lourdeur de l’air, jeta un œil à Ogawa sensei, l’intimant du regard de bien suivre cette fois. Rien ne garantissait qu’il leur sauve de nouveau la mise dans ces conditions, il leur faudrait bien deux cerveaux déssechés pour espérer ne pas froisser le Toji. D’autant plus que Monsieur Sato ne semblait lui pas le moins du monde affecté par la chaleur, il vadrouillait aux quatre coins de la pièce avec la même aisance et rapidité que tout à l’heure.

« L’étape suivante est celle du shubo. On prépare un pied de cuve, comme voici, dans lequel nous mettons un peu de Koji, du riz cuit et de l’eau. On y ajoute également des levures qui vont aider à la fermentation. Ce sont les levures qui feront tout le travail, elles vont transformer le sucre du Koji en alcool. Il faut bien laisser macérer le Shubo pendant deux semaines ensuite. »

Le vieil homme se mit subitement de nouveau en route, sortant de la pièce sans prévenir. Mathéo échangea un regard circonspect avec son professeur, prit de court par la soudaine disparition du petit bonhomme. Il lui fit signe de s’activer, se précipitant pour traverser la porte que l’artisan venait de refermer derrière lui. Quelque chose lui faisait se dire qu’il serait tout à fait capable de continuer la visite sans eux s’ils ne se pressaient pas. Heureusement, la pièce suivante retrouvait des températures et un taux d’humidité plus supportables. Il y faisait tout de même encore un peu trop chaud pour le pauvre Mathéo qui du essuyer son front d’un coup de manche pour ne pas dégouliner sur son cahier.

« Dépêchez, dépêchez ! » les toisa sévèrement Monsieur Sato en tirant sur sa moustache, avant de reprendre: « Ce sont ici que sont entreposées nos cuves. Elles servent toutes à l’étape du moromi. Pendant plusieurs jours, l’alcool y fermentera. Le premier jour, on dispose le shubo dont on double le volume en ajoutant du riz cuit et de l’eau. ». D’un air malicieux, il leur fit signe de s’approcher de l’une des cuves, tendant l’oreille vers elle. « Au deuxième jour, on peut entendre la douce mélodie du riz qui danse… Écoutez donc, rapprochez vous. » leur dit-t-il en chuchotant, fermant les yeux pour profiter pleinement de l'émerveillement de ses sens. Mathéo se gratta la nuque, gêné à l’idée que le vieil homme puisse avoir perdu la tête mais il se prêta tout de même au jeu, encourageant des yeux Ogawa sensei à en faire de même. Ce n’était pas le moment de vexer le brasseur. « … C’est… agréable à entendre... » tenta Mathéo. Il entendait bien un léger crépitement mais de là à parler d’une douce mélodie… « N’est-ce pas, Ogawa-sensei ? » jeta-t-il le bébé dans les bras du jeune enseignant. Monsieur Sato releva des yeux attentifs sur le pauvre bougre, s’attendant à recevoir ses critiques les plus qualitatives. 





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Mer 27 Sep 2023 - 22:03




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Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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Yukio n'en revenait pas. Cette saleté de mioche impertinent venait de jeter son professeur sous le bus sans une once de compassion, à la manière d'un félin grognon filant un coup de patte à son éventuel colocataire d'arbre à chats, précipitant son congénère dans le vide avec un regard méprisant. Le professeur réprima un sourire. Il aurait eu beau jeu de faire les gros yeux, il adorait ça. En dépit de ses airs empreints de verticalité respectueuse, l'irrévérence lui plaisait, en particulier lorsqu'elle se faisait subtile. L'insolence était un art difficile à manier pour qui voulait le pratiquer sans y laisser des plumes, et Mathéo avait encore un joli duvet aviaire. L'enseignant aurait bien eu envie de tapoter sur la tête de son apprenti pour le féliciter, à la manière d'un maitre gratifiant son disciple d'un contact aussi bienveillant que fraternel, mais l'heure n'était pas encore aux cérémonies monastiques.

Les yeux du vieux Sato étaient rivés sur lui, remplis d'attentes désireuses de se voir comblées, le fixant avec la puissance propre aux poursuivants d'un prophète. En cet instant, pour le brasseur comme pour le fils prodigue, pour la canne comme pour la plume du scribe, il était l'élu. Il lui revenait d'apporter l'équilibre dans la Force, et d'assouvir par la pureté de son homélie les désirs d'éternité de la parcimonieuse assistance. Il était investi d'une mission aux accents divins, et il comptait bien s'en montrer digne. Ouvrez grand les mirettes jeune Takahashi, soyez témoin, il est temps pour le messager du ciel d'exalter le cœur des fidèles.

Yukio prit une inspiration des plus mystiques, fermant les yeux pendant quelques instants, à la manière d'un esthète plongé dans une profonde réflexion, puis il parla, étoffant sa voix d'une pulpe lyrique et passionnée:


- Le riz, Monsieur Sato, je l'entends. Je l'entends qui instille dans l'air le rythme de sa propre transformation. C'est à la fois doux et pétillant. Lorsque l'on abandonne son oreille toute entière à l'ambiance de l'instant, on le sent qui imprime sur l'atmosphère ses vibrations les plus infimes, à la manière de cordes glissant leurs harmonies dans l'éther. Le riz, Monsieur Sato, il ne danse pas, il chante, il psalmodie, il ânonne des mantras comme un chœur de moines en transe, il récite comme un millier de talmudistes, il prie, avec déférence, comme suspendu de recueillement face au poids de son propre avenir. C'est si beau, c'en est presque troublant. C'est comme si votre création savait rendre hommage, par barcarolles et cantilènes, aux siècles qui habitent ce lieu, faisant résonner dans l'acoustique des traditions millénaires qui peuvent l'habiller des incantations prosodiques. Ce n'est plus seulement beau, c'est à la fois tragique et magnifique, c'est émouvant, et bouleversant. Il coule dans l'air la musique ineffable de l'éternité, lavée du superflu, et c'en est proprement saisissant.

Il prit un air affecté, cérémonieux, donnant l'impression d'avoir été sonné par une expérience poignante à même de changer son existence. Le regard fixe, dans le vide, la cornée humide, il donnait l'apparence d'être encore noyé dans un désarroi des plus désarmants.

Face au calme tissé de gravité qui s'était installé, Monsieur Sato finit par rompre le silence:


" Oui enfin c'est juste des petites bulles quoi. "

Tout en maintenant ses yeux précipités dans le vide, le professeur eut un petit mouvement d'acquiescement, répété, à la manière d'un accidenté en état de choc, et il murmura, sans cible précise, comme s'il s'agissait d'un aphorisme des plus conceptuels:

- Des bulles, juste des bulles...

Le brasseur paniqua légèrement des lignes de mires, cherchant à se rassurer dans celles de Mathéo, et lui lança avec gêne, sur un ton volontairement entendu:

" Bon, c'est pas tout ça, faut qu'on avance hein. "






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Sam 28 Oct 2023 - 12:50

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Il avait laissé la parole à l’enseignant. Un coup de maître pour s’en sortir, légèrement parfumé d’un fumet de vengeance. Le référent du club des traditions l’avait honteusement jeté en pâture au vieux Sato quelques dizaines de minutes plus tôt, cela n’était donc que douce justice. Seulement, Mathéo regretta bien rapidement d’avoir offert son bâton de parole au jeune professeur. Il se sentit stupide, même. Comment n’avait-il pu prévoir ce qui se passerait ? La vengeance n’obscurcissait pas uniquement le cœur, elle brouillait tout autant la vision. Ogawa-sensei leur offrit sa plus belle tirade et il lui fallait bien avouer ne jamais en avoir entendu de plus imprégnante. Derrière la honte évidente dans laquelle ce dernier le plongeait, il ne pouvait que remettre en question ses propres capacités. Le poète lui en faisait craindre un manque de fantaisie, de créativité. Comment Ogawa-sensei pouvait-il inventer une impression des plus marquantes à partir d’un simple bruit à peine audible ? Cela ne pouvait qu’être lui, Mathéo, qui manquait d’oreille. Pris au centre du tourbillon dévastateur de gênance qu'Ogawa-sensei relachait sur eux, il hésita à le prendre en notes, à en saisir ses plus belles tournures de phrases et à soumettre à son analyse prochaine celles qui en quelques mots semblaient parler directement à son âme. Comment faisait-il ? D’où lui sortait ce talent insoupçonné ? Fallait-il être loufoque pour être un artiste ? Entre honte et complexe d’infériorité, Mathéo ne savait que choisir. Le vieux Sato l’interrogea du regard et il ne put que le fuir, se déchargeant de toutes responsabilités. Mieux valait laisser l’enseignant terminer.

Lorsqu’Ogawa-sensei se tut, il osa porter les yeux sur lui, pour mieux les en éloigner ensuite. Bon sang… était-il obligé d’être si embarrassant ? Pourquoi prendre un air si solennelle et tragique ? Se donner tant en spectacle était-il une nécessité ? Heureusement, Sato-san mis fin à son supplice, concluant avec un pragmatisme à tout épreuve. Mathéo manqua de s’étouffer en retenant le rire qui lui grondait dans le ventre depuis les tripes. Il réussit tout de même à retrouver de son sérieux le temps d’apporter un soutien visuel au vieil artisan. « O-Oui… ! » bafouilla-t-il après s’être éclaircit la gorge. Mieux valait reprendre et oublier cet événement malheureux, en effet.

Le vieil homme leur ouvrit la marche, prenant de l’avance. Mathéo en profita pour jeter un regard sur son professeur, le toisant sans la moindre pudeur. Il n’y avait besoin d’aucun mot pour juger, peu importe la sentence, le juge la donnait en tapant fort de son maillet. L’étudiant n’en avait pas à disposition, ses yeux en furent donc la substitution. Secouant la tête, d’un air désabusé, il daigna tout de même décrocher un sourire amusé – presque moqueur. Une petite pièce pour récompenser les efforts du grand poète, peinte sur son visage habituellement monocorde. Il emboîta le pas au Toji sans plus tarder, tout était dit.

Le brasseur leur expliqua que l’étape du Moromi durerait plusieurs semaines pendant lesquelles il lui faudrait mélanger régulièrement la mixture obtenue avec un peu d’eau de source et du riz cuit. Ensemble, le Koji et les levures coopérerons dans une double fermentation qui aura comme résultat final un alcool entre 17 et 23 %. Un énième changement de salle plus tard, monsieur Sato leur désigna du doigt les sacs en coton accrochés ci et là autour d’eux. « Une fois le Momori terminé, nous le versons dans des sacs pour le filtrer. C’est l’étape du joso. Il permet de séparer le sake du kasu – les résidus restant de riz. Ici, le filtrage se fait tout seul. Il nous suffit de laisser ces sacs suspendus au dessus des cuves et d’attendre. Bien sûr, aucun gaspillage ! Nous revendons le Kasu à des entreprises ou des restaurants qui s’en servent pour la cuisine » dit avec conviction le petit homme qui continua en leur montrant comment était ensuite filtré, à l’aide de charbon,  le liquide recueillit.

« Il faut laisser reposer le sake plusieurs jours ensuite, cela permet un dernier filtrage naturel. Tout ce qui n’a pas pu être filtré par le charbon remonte à la surface et nous l’enlevons. La dernière étape de fabrication sera alors la pasteurisation durant laquelle nous faisons chauffer à 60° le saké pour tuer tous les organismes encore vivants dedans. On met ainsi fin à la fermentation. Ce n’est qu’après tout cela que nous pouvons le mettre en bouteille en vu de le vendre... Bien, bien, mais venez donc par ici, nous allons désormais passer à la partie la plus importante: l’ultime étape après la fabrication. » leur intima-t-il. Quelques pas plus loin et la traversée de quelques couloirs, le trio se retrouva dans une pièce d’entrepôt. Ici, pour seule décoration : des bouteilles.

Le vieux Sato tira un escabeau de bois pour se hisser jusqu’à l’une de ses étagères et revint vers eux avec une bouteille poussiéreuse. « La dégustation ! » tonna-t-il, sous un air de victoire. « Un grand gaillard comme lui, ça peut boire, n’est-ce pas ? » demanda-t-il à Ogawa-sensei tout en donnant un petit coup de coude à Mathéo, qui l’air perplexe s’en remis à son professeur.





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Dim 26 Nov 2023 - 11:41




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Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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L'éclair de jugement prolongé qui s'échappait des yeux de Mathéo n'avait point échappé à l'attention coureuse du professeur Ogawa. D'une manière plus tortueuse que saugrenue, l'enseignant trouvait dans la réception d'un tel regard une certaine forme de fierté. Qu'il était doux d'être provoquant, et tancer autrui par des effets de manches toujours prompts à se trouver impertinents. Le jeune Takahashi avait encore bien des choses à apprendre. Engoncé dans la rectitude de sa politesse rigidifiée, il ne s'était pas encore libéré d'une certaine forme de pression sociale. Il avait encore le temps de découvrir la liberté et le sens de l'acceptation de soi. Il n'y avait, au fond, qu'une forme de sagesse, et elle se lovait tout entière dans l'apprentissage parallèle de trois vérités intemporelles: le ridicule ne tuait pas, mais l'on pouvait mourir d'ennui, et l'on pouvait s'éteindre de n'avoir pas vécu. Mettre de l'emphase dans une vie l'emplissait d'une lumière seule à même d'accentuer les contrastes, et le dessin d'une destinée n'était jamais mieux encré que lorsque les traits se différenciaient clairement du grain nivéen du papier. Yukio était gênant, mais il était vivant, et dans un monde où les silhouettes étaient souvent portées par leurs ombres déjà morbides, ses manières dithyrambiques donnaient à son autour des couleurs et de la texture, du moins aimait-il à le croire.

Monsieur Sato tenait dans ses mains une bouteille des plus prestigieuses, et il avait ponctué sa question relative à la possibilité pour le petit de s'en jeter un d'un regard presque suppliant. Il avait, de manière assez évidente, le désir ardent de les abreuver du summum de son art. Toujours pris dans son envie d'être facétieux, Yukio faillit s'épandre d'une réponse toute négative et moraliste, appuyée sur l'importance de la modération, sur les dangers de l'alcool et le développement cérébral des adolescents qui ne s'achevait qu'à 25 ans, mais Mathéo avait suffisamment souffert pour la journée, et peut-être même pour la semaine, il était peut-être temps de lui lâcher la bride, et de le laisser respirer. Le professeur lui avait fait subir suffisamment de péripéties miséreuses pour le moment. On ne tirait pas sur les ambulances, surtout quand elles avaient déjà les quatre pneus crevés et le radiateur percé, et soumis à toutes ses émotions quotidiennes, le jeune homme pouvait déjà tourner sans dépareiller dans un clip de prévention routière.

Sentencieux et affecté, le professeur d'histoire donna son assentiment, en hochant de la tête, les yeux fermés, à l'image d'un maitre de dojo taciturne et adamantin. Son mouvement n'étant accompagné d'aucune parole, le vieux brasseur tendit le cou, comme pour demander, lui aussi sans un mot, une confirmation authentique. Bitch, Dojo Cat said what he said. L'enseignant, dans un échange des plus improbables, reproduisit son mouvement en l'accentuant, et l'accompagna, cette fois-ci, d'un léger grognement plein d'assentiment.

Monsieur Sato n'attendit plus, et autorisé à procéder, fit sauter le bouchon de la bouteille sans autre forme de procès. Ouvrant un tiroir d'un geste expert, il sortit trois verres avec une agilité étonnante, un peu comme si l'idée de s'arroser d'un spiritueux lui avait redonné sa jeunesse. Sans trembler, il emplit les récipients de grandes lampées du breuvage clair, et tendit les petits gobelets de verre à ses invités, en leur lançant un licencieux:


- Kanpai ?






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Dim 7 Jan 2024 - 15:11

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17 février

Mathéo se frotta l’œil gauche en observant l’étrange dialogue muet entre son professeur et le vieux Sato. La fatigue lui piquait les yeux. Il avait bien tenu, pour quelqu’un ayant à peine dormi ces derniers jours, mais son exploit touchait bientôt à sa fin. Il en voyait la ligne d’arrivée. Elle était belle, trop belle. Telle une sirène, elle lui chantait des chants d’amour pour l’attirer à elle. Il savait que s’il les suivait, il en finirait noyé. Pourtant, il n’attendait plus que cela. Après cette dégustation, il leur faudrait encore marcher, prendre les transports jusqu’au campus et cette simple pensée suffisait à lui retirer toutes ses forces. S’il pouvait emprunter une salle à Sato-Sama, il dormirait ici-même. Alors, la perspective de boire un verre de Saké ne l’enchantait pas tellement. S’il devait boire maintenant, atteindre cette ligne d’arrivée ensorceleuse serait plus rapide que prévue. Heureusement, il se sentait rassuré par l’idée qu’Ogawa-sensei refuserait, en bon adulte responsable. Quelle erreur.

Le verre de sake dans les mains, il jeta un coup d’œil à son référent, dépité. Y avait-il un monde dans lequel il pouvait le cerner ? Un monde dans lequel l’homme était à la hauteur du sérieux dont il le pensait obligé ? Les yeux coulant dans le liquide éthanolé, Mathéo tenta de s’imaginer à sa place. Lorsqu’il serait enseignant à son tour, serait-il à la hauteur de ses propres exigences ? Le trouverait-on indécent et gênant, lui aussi ? Ou bien trop sévère et rigide ? Hah… A quoi bon y penser ? Son futur n’avait rien de radieux. Le peu de ses couleurs, déjà délavées, s'étaient effacées lorsque la réalité était venue le frapper au travers des mots de ce faux bénévole qui lui hantait encore l’esprit. « Kanpai... » dit-il, la voix désenchantée. Le récipient sur le bout des lèvres, il en aspira tout le contenu, cul sec. Le liquide lui brûla la gorge, laissant remonter les flammes de son feu jusqu’à ses narines. Il toussa, le visage grimaçant, reposant prudemment le contenant à poison sur la table de dégustation. Monsieur Sato bondit sur ses deux pieds, catastrophé. « Qu’est-ce que ?! » lança-t-il, outré. Mathéo s’attendit à se faire enguirlander pour ne pas avoir suivit un rituel dont il n’avait visiblement pas pris la connaissance mais au lieu de cela, le brasseur lui en servit un autre. Le saké, cela se déguste, précisa-t-il. Comment Mathéo ne pouvait-il pas le savoir, s’indigna l’artisan. Les jeunes ne savaient-ils plus boire ?! « … D-Désolé... » bafouilla Mathéo en s’inclinant légèrement, les joues rougies par la chaleur que sa gorge propageait sur son visage. « Je ne bois pas souvent… et habituellement, je bois plutôt de la bière » tenta-t-il de se justifier en vain. Ce fut sa deuxième erreur. Sato-sama monta sur ses grands chevaux, prenant Ogawa-sensei en otage dans sa course folle. « De la bière ! De la BIERE !! C’est ça la jeunesse désormais ?! C’est ça l’avenir du Japon ?! » s’époumona-t-il contre le pauvre professeur qui semblait en être responsable, prenant une nouvelle gorgée de Saké. Mathéo se frotta la nuque, mal à l’aise. Le voila qui se retrouvait désormais coupable de ne pas boire d’alcool. De peur de froisser davantage son aîné, il attrapa son verre pour en siroter lentement le contenu. Chaque goutte déposée sur sa langue donnait à son visage des airs de grimace qu’il avait bien du mal à camoufler. Sans doute son palais n'était-il pas suffisamment entraîné pour en apprécier tous les arômes ? La seule information gustative que lui transmettaient ses papilles était un "au secours ! Nous brûlons !". En désespoir de cause, il s’en remit à son professeur. « … C’est délicieux. N-N’est-ce pas, Ogawa-sensei ? ».





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Mer 7 Fév 2024 - 22:25




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Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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Yukio camoufla un petit soupir de soulagement. A l'instar de son élève, il avait descendu le saké versé dans son verre d'une seule traite. Se taper le cerveau à coups de Teq paf le jeudi soir lui avait laissé quelques réflexes malheureux. Heureusement pour la contenance du professeur, Monsieur Sato n'avait été témoin que du seul geste de Mathéo, et n'avait donc vertement repris de volée que le jeune homme, laissant au professeur la possibilité de conserver le drapé de son prestige. L'enseignant eut tôt fait de reprendre sa posture pour afficher un air faussement profond, et de faire des petits bruits de bouche assez ostentatoires, comme pour insister sur le fait qu'il avait tiré du breuvage offert les plus subtils des arômes.

L'air grave, presque solennel, il ne put se retenir de se lancer dans quelques paroles plus que pendables:


- Mais enfin Takahashi-kun, faites-vous un peu honneur ! C'est pourtant évident qu'un trésor de cette qualité, ça se déguste, ça se savoure, ça s'apprivoise ! On est là sur un nectar d'exception, pas sur le genre de sous-produit industriel avec lequel vous vous tuez le foie le week-end.

Lorsque le vieux embraya son couplet sur la jeunesse en perte de repères, il acquiesça, avec une pointe d'ironie, et ajouta même:

- Mais ne m'en parlez pas, mon bon Maitre Sato, je suis désarmé face à cette jeunesse en perdition ! J'ai beau tout faire pour les sauver d'eux-mêmes, je ne suis pas bien sûr de pouvoir y arriver.

Alors que le propriétaire des lieux s'empourprait autant de ses rodomontades que des premiers effets de sa consommation, Yukio ajouta, outrageusement sérieux:

- Maitre Sato, je vous le dis ! Quand on voit ce qu'on voit, et qu'on entend ce qu'on entend, bah On A rAiSoN dE pEnSeR cE qU'oN pEnSe !

Et il s'esclaffa, emportant dans ses ricanements d'ivrogne l'auguste brasseur, qui soudainement, occupé à rigolbocher, paraissait bien moins vénérable. Puis, voyant que le jeune Mathéo, tout penaud, avait entrepris de siroter son deuxième verre avec un peu plus de considération, il tendit le sien, ponctuant le mouvement de son bras d'une remarque propre aux hommes cultivés:

- Pas plus haut que le verre, Maitre Sato.

Ravitaillé, il porta le tout à ses lèvres, et alors que son élève tentait de qualifier son expérience du mieux qu'il pouvait, soucieux d'éviter une deuxième couche de goudron de la part du vieux, il alla le repêcher au fond de la baille:

- Parfaitement, mon jeune disciple, c'est délicieux. Comme vous aviez l'amabilité de me le confier tout à l'heure, on est sur un procédé qui permet d'allonger la simplicité du produit par des subtilités sur le palais. Comme vous osiez le suggérer, il y a dans ces verres quelque chose d'intemporel, quelque chose de séculaire. Ce que l'on boit, ce ne sont pas seulement des molécules finement ciselées par l'art de Monsieur Sato. Ce que l'on boit, ce sont les échos d'un passé dont le cœur bat encore.

Il compléta, en s'adressant plus directement à Monsieur Sato, comme s'il s'agissait d'une confidence:

- Vous savez, Sato-sama, je crois que vous avez bluffé le petit, et qu'il a un peu de mal à trouver ses mots. Il faut lui laisser le temps de gérer l'admiration qu'il vous porte.

Puis, innocemment, il dévia définitivement le tir:

- Au fait, mon cher Monsieur Sato, comment se porte votre charmante épouse ? J'ai ouï dire qu'elle était toujours aussi dynamique. Et la famille ? Bien ?







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Sam 13 Avr 2024 - 1:24

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Mathéo écoutait son professeur défait de toute énergie de protestation. Il était bien trop épuisé pour continuer à le juger, ses pauvres neurones déclaraient l’état d’urgence. Coupe budgétaire, le peu d’élan vital qui lui restait devait servir à tenir debout et à encaisser l’éthanol qui faisait déjà effet dans ses veines. Il observait Ogawa-sensei circonspect, le visage brûlant, conséquence de cet alcool bu trop rapidement. L’enseignant était outrageusement culotté, indéniablement talentueux pour le lyrisme et tristement embarrassant. A nouveau, la dissonance cognitive plongeait Mathéo dans un dilemme psychique. Devait-il être reconnaissant et admirer cet homme dont la langue ne s’arrêtait jamais de le surprendre ou devait-il au contraire lui en vouloir de les empêtrer un peu plus, tous les deux, dans la discussion avec monsieur Sato. En arrivant à la dégustation, l’étudiant espérait qu’il en était bientôt finit de leur petite visite. Malheureusement, le professeur d’histoire-géo venait de relancer la machine et l’artisan ne semblait pas prêt de les laisser partir.

« Oh, si vous saviez ! Ma femme va parfaitement bien ! Aussi intemporelle et séculaire que vous l’avez décrite » répondit il en se servant un nouveau verre, comme si la mention de sa femme le nécessitait. En observant le vieil artisan siroter le quart de son breuvage, une question des plus existentielles germa dans l’esprit de Mathéo  : combien de verres comptaient-ils boire... ?

« Surtout lorsque c’est pour m’enquiquiner ! » lança Sato-san, un oeil complice porté sur Ogawa-sensei. Il se racla la gorge. « Ma petite fille – la fille de mon fils » précisa-t-il à Mathéo, pour son plus grand désespoir. Tout mais pas ça… «  - s’est décidée pour des études de commerce. Une grande fierté dans la famille savez ! Elle est intelligente, cette petite ! ». Le merveilleux pouvoir du Saké commençait à faire effet, monsieur Sato s’osa à la confidence : « Même si une part de moi aurait aimé que mon fils ou ma petite-fille reprenne le flambeau... ». Il agita vivement la main pour chasser aussitôt ses sombres paroles. « Bah ! Enfin, ne parlons pas des choses qui fâchent. Surtout avec cette délicieuse cuvée dans les mains ! Kyahiihiiihiiihiii !»

Le rire transformé de monsieur Sato eut le mérite de soulever une vague de surprise chez Mathéo qui chercha refuge dans le regard de son enseignant. S’il avait pu disparaître sous son verre de Sake, il l’aurait fait immédiatement. « Je parie que vous ne vous attendiez pas à goûter un alcool de cette trempe là, jeune homme ! » le relança l’artisan, une grande tape dans le dos pour lui déboîter la colonne vertébrale en prime. Aie.

« Je n’ai jamais rien goûté d’aussi bon, Sato-san.» mentit il. «Je vous remercie sincèrement de nous avoir reçu et partagé votre Art… et… », une courte pause lui fut nécessaire pour rassembler ses idées. Si son rire restait intacte, l’état de ses neurones ne semblait en revanche plus garantie. Son esprit lui sembla soudain plongé dans le brouillard. « et… de nous avoir offert cette merveille dégustation » conclua-t-il bon gré mal gré. « A la bonne heure ! » s’exclama le vieil homme en ouvrant une énième fois le bouchon de sa bouteille. « Vous reprendrez bien un dernier p’tit verre pour la route alors ! »

Cette fois, le pauvre étudiant se sentit contraint d’intervenir. Il en relevait de leur survit. Prudent, il s’inclina. « Je suis désolé mais... mais il nous faut arrêter là.... Nous avons de la route pour rentrer et...  on pourrait nous refuser le retour sur le campus si nous sommes trop bourrés. Alcoolisés. Je veux dire, alcoolisés. »

Une réaction des plus vives réanima toutes les bactéries endormies de l’usine. « AAAAH !!! » tonna férocement l’artisan. « Qu’ils viennent donc m’en toucher un mot si votre bonheur les ennuis !! Je leur offrirais bien plus qu’un verre, pardi !! ».

Mathéo se redressa précipitamment, troublé par la réaction qu’il venait de provoquer. Il s’apprêtait à jeter Ogawa-sensei dans la fausse aux lions pour les sortir de cette affaire lorsque le vieux Sato redescendit de lui même, quittant ses grands chevaux. « Bah ! Vous avez sûrement raison va. Mieux vaut être raisonnable. Je n’ai plus la forme de ma jeunesse et ma femme m’en voudra si je me coince encore quelque chose. Venez, je vais donc vous raccompagner. »

Ouf.

Contrains de terminer leurs verres délicieusement empoisonnés, professeur et étudiant furent dignement raccompagnés à la porte de l’entreprise. Quelques charmantes louanges et politesses suivirent avant qu’ils ne soient libérés. Néanmoins, l’artisan rattrapa le professeur d’histoire géographie, l’attirant légèrement en retrait et dans la confidence la plus complète lui souffla : « Tenez mon brave, c’est cadeau ! Merci d’être passé, ça me met du baume au coeur de voir les jeunes s’intéresser aux artisans de leur pays ! ». La larmichette à l’oeil, il glissa une bouteille de son cru sous la veste du professeur.

Lorsqu’ils s’éloignèrent suffisamment de l’usine de Saké pour ne plus être audible de ses travailleurs, Mathéo poussa le plus gros soupire que ses poumons n’aient jamais connu. L’alcool ne transformerait pas son rire en un fond sonore pour film d’horreur. Néanmoins, il savait délier sa langue. A son grand damne. « Ogawa-sensei ! Vous savez… ? Vraiment… Concrètement ! Non, je veux dire : réellement ! Bref. Ogawa-sensei ! Je ne sais pas si vous êtes le PIRE enseignant que la terre n’ai jamais connu ou si… ou encore si… enfin si vous… Je veux dire s’il se peut que ! Bref. Je me demande si vous êtes extraordinaire aussi. »

Une facepalme un peu trop puissante et un « aie » s'échappa d'entre ses lèvres. Qu’est-ce qu’il racontait ?  Non, peu importe, il y avait plus urgent à traiter. « Pourquoi l’avez-vous lancé sur sa famille ?? Est-ce que c’était un piège ? Un traquenard ? Une ambuchecade ? Euh… non. Une ambuch… Bref. Je vous ai dis que je ne voulais pas d’une fille. Enfin, pas d’une fille. Je veux dire que ça ne m’intéresse pas. »

Mais plus important encore urgeait : « Comptez-vous vous excuser ? »





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Lun 29 Avr 2024 - 21:46




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Samedi 17 février 2018


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La porte de la brasserie s'éloignait, poussée dans la perspective par les pas mal assurés d'un infernal duo. L'alcool, versé dans les verres avec une prodigue générosité, rendait chancelante la démarche du professeur comme de son élève, qui s'en retournaient vers leurs terres censives avec la prudence oscillante des étudiants un jeudi soir. Il résidait dans l'allure de leur cheminement une forme d'orgueilleuse lassitude, de fierté exténuée. On eut dit, si tant est qu'on eut été assez loin pour ne pas sentir leur haleine, qu'il s'agissait là d'authentiques explorateurs revenant des confins des mers orientales. La peau tannée par le soleil marin, l'esprit taillé par le vents du large, et les yeux chargés de péripéties traumatisantes, ils posaient toutefois le pied sur le quai avec l'assurance d'obtenir leur lettre de noblesse. Vaillants capitaines, partis du port assoiffés d'aventure, et finalement saoulés de découvertes au prix bien trop élevé pour de mortels esprits.

Sous les crânes, la tempête couvait, nourrie de toutes les trahisons, abreuvée de toutes les déceptions, rendue toxique par les distensions de sentiments contrariés. Lorsqu'enfin, Mathéo explosa, son professeur n'en fut qu'assez peu surpris. Les adversités étaient restées sur l'horizon, lancées par dessus bord, et libérés de leurs poids, les hommes pouvaient laisser éclater leur colère. Pour Mathéo, l'heure de solder les comptes avait sonné, sans qu'il ne fut besoin d'un orchestre pour l'accompagner. Yukio le laissa vomir sa bile à défaut de purger son foie, l'écoutant tituber sur les mots avec un air faussement serein. De fait, l'éthanol lui troublait également la vue et l'ouïe, et il devait se concentrer pour entendre les mots de son disciple, d'autant que ces derniers n'étaient pas des plus limpides.

Du fin gabier au franc luron, il n'était qu'un trait de sillage sur l'arrière du gouvernail. Mathéo se confondait dans l'étalage de son ressentiment pour le moins incertain. A le suivre, on ne savait trop s'il fallait médailler Ogawa, habile timonier de la Mer de Corail, ou, au contraire, le passer par les armes comme le plus éhonté des forbans de la côte de Malabar. Il y avait chez le petit autant d'admiration que d'aversion, une ambivalence que le saké avait permis d'assumer. Le gamin ne jouait pas de la flûte, mais en matière d'harmonica, il avait une chanson prête à chaque trou. Son élocution raboteuse le rendait pittoresque. Yukio pensa qu'avec sa mine de trafiquant, on avait quand même bien fait de lui rincer les dents. Un coup de tafia, ça fait toujours baver les mutins.

D'une voix plus scabreuse qu'à son accoutumée, l'enseignant entreprit de répondre au poulbot aviné, droit sur le gaillard d'avant:


- Maaaaaatho, mon cher Matho, bien sûr que je suis le PiRe EnSeIgNaNt Du MoNdE, et vous...shhhh... vous saveeez quoi ? Bah J"'en suiv fierrr d'aborde. C'"est Pfarfaitement raccorde avvec le faiet que je suuuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiss nuuul, mais nuuuuuuuuuuuuuuul.

Il vacilla jusqu'au muret le plus proche, sur leur droite, avant de s'y affaler, visiblement affecté par les toxines qui lui tapaient dans le sang. Il soupira, sur un ton un peu plus grave, l'élocution toujours perfectible:

- Voyeze, vouzavez traison, il faute tse méfiéer des sentimensonges,; Moiiii j'ai voului, bah je m'é cassé le coeure. Genrrre tout casssé. Voyez la cheumise queje porte, C'est tOuT cE qUi Me ReStE.

Il souffla longuement, tout en attrapant dans l'une de ses poches un paquet de cigarettes, qu'il soulagea d'une tige de nicotine avec un geste mal assuré. Il tendit mollement le paquet à Mathéo avant de se raviser:

- Vous tirrez passur la cibiche vo_us ? Z'êtrop sérieux pourssa. Matho le bonnélève, Matho le parfayt, je vous aime bien quanmême.

Alors qu'il avait toutes les peines du monde à obtenir une flamme de son briquet, il posa comme une conclusion:

- Moitoussequejepeuvoudire, c'est qu'il faut autant se médifier des hommes que des fememes. Voucasserone lE cOeUr toupareil.







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Sam 22 Juin 2024 - 19:20

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Mathéo regarda s’éloigner le professeur,  clignant des yeux fermement, l’un après l’autre, pour tenter de s’en reconstruire une image stable. L’enseignant voguait dans son indignité la plus grande, tanguant à lui en donner la nausée. Il ne s’excuserait pas. Pire, il disait être fier de son incompétence. Cerise sur le gâteau : il parsemait le sentier d’une mer de jérémiades que Mathéo se refusait d'entendre. L’estomac tout retourné, il rejoignit le tragédien et sa grandiloquence incarnée près du muret qui avait suffisamment pitié de lui pour le supporter. Cela faisait au moins quelqu’un qui ne risquait pas d’être gêné par les confidences déloyales d’Ogawa sensei.

« Je... » tenta l’étudiant, funambule malgré lui. Voilà qu’il lui fallait désormais lutter pour son propre équilibre. « Vous... »

Que dire ? Que faire ? Son esprit embrumé perdait le nord. La culpabilité qui lui grognait dans le ventre était-elle un des nombreux effets délétères d’une alcoolémie trop poussée ? Que devait-il faire de sa colère maintenant que son olympique tortionnaire jouait le poulet déplumé ? Loin de lui était l’envie d’en savoir plus sur la vie vraisemblablement lamentable de son référent de club. Avec la chance qu’il avait ces derniers temps, il n’était pas à l’abri d’une mémoire vorace qui lui en ferait oublier tout de cette journée, au détail près de ces confidences des plus malaisantes. Or, il tenait à pouvoir continuer de le regarder dans les yeux. Heureusement, le professeur lui offrit une solution par ses propres moyens en osant lui proposer une cigarette. Un énième outrage que Mathéo souleva en se massant nerveusement l'arrêt du nez. De nouvelles moqueries et une déconcertante note d’affection n'arrangèrent rien à son humeur.

« Vous n’avez qu’à faire comme moi, Oga’sensei. » lança-t-il à la volette en se laissant tomber à genoux devant l’abominable. « Vous prenez votre coeur... » dit-il en plantant ses dix doigts dans sa poitrine, ne sachant plus exactement s’il lui fallait viser à droite ou à gauche. Faisant mine d’en extirper le contenu à deux mains, il secoua l’organe imaginaire devant le fonctionnaire. « Puis vous le posez dans un endroit. Non, un lieu. Enfin… un quelque part ! » continua-t-il sa leçon, en grand pédagogue qu’il était, déposant son coeur imaginé sur le sol. « Comme ça. De cette façon... Avec cette manière là. D’aucune autres ! Et vous serez... tranquille. » assura-t-il. « Il n’y a qu’un problème... » et BAM, il abattit les deux poings sur le sol. « C’est que les gens le piétinent quand même. Tapent dedans… L’écrabouillent ! ».

Un soupire, las et fatigué s’échappa d’entre ses lèvres. Que racontait-il ? Où était passée sa chère et tendre logique, son très fidèle bon sens ? Il dressa les yeux sur l’enseignant, l’orage dans le regard. Son indispensable conseil promulgué, il pouvait désormais en revenir au véritable problème.

« Qu’est-ce que ça fait si je suis un bon élève ? Hein, Oga’sensei ? Vous, vous dites que vous êtes inutile… médiocre… incompétent, un gros nul. Mais vous mentez, vous aussi vous étiez un bon élève, comment vous êtes devenu professeur ?? Et si je veux être parfait, qu’est-ce que ça fait ?! Vous rigolez... Est-ce que vous savez comme c’est difficile ? »

Ses doigts se déplièrent, s’étirant sur la terre pour mieux la saisir. Poings tremblants, Mathéo dégoupilla toute sa frustration :« Il faut faire ci, il faut faire ça. Toujours plus, encore plus et davantage ! Et plus on en fait et moins on a le droit de se tromper. Plus on en fait et moins ça se voit ! ». Sarcastique, il laissa péter le bouquet final : « Vous m’aimez bien ??? Sur quels pos-tu-lats ?? Qu’est-ce que vous connaissez de moi ?? Hm ?? Une. Une SEULE chose que je vous... que je... demande de ne pas faire. UNE seule et vous la faites ! ». Sévère, il pointa son index sur l’enseignant. « Moi aussi on me brise le coeur. Ça intéresse qui ? Pourquoi je devrais vous écouter pleurnicher ?? Vous êtes un adulte, un professeur. Vous devriez être celui qui me réconforte !».

Signant sa beuglante, il vomit sur les chaussures d’Ogawa-sensei.





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Yukio Ogawa
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Tourisme de précision pour amateurs avertis
Samedi 17 février 2018


Musique d'ambiance

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Yukio observait le discours de Mathéo partir tous azimuts avec une attention toute académique. Les phrases à moitié cohérentes débitées sans structuration du propos par son élève avaient réveillé sa fibre universitaire. En enseignant-chercheur appliqué, il tentait d’y déceler un sens caché, une forme de logique filigranée, qui aurait lié entre elles les exclamations sinusoïdales du jeune étudiant. Il y avait là dedans de la rage, de la déception, de l’agacement, une tristesse un peu trop profonde, mais seconde loi de la thermodynamique oblige, tout était mélangé, et il était difficile de faire la part des choses entre les composants de la logorrhée considérée.

Le petit n’avait pas complètement tort : Yukio avait été un bon élève, à son corps défendant, et en dépit d’un comportement exubérant constamment inapproprié. Il n’avait pas vraiment cherché à réussir, et n’avait pas fourni d’effort particulier, c’était juste comme ça. Le développement d’un rapport ludique au savoir, dès l’âge le plus précoce, l’avait prémuni contre l’échec scolaire, à défaut de lui conférer de la tempérance dans l’expression de sa personnalité. Il n’envisagea même pas de répondre à la question de savoir comment il s’était professionnellement orienté. A vrai dire, il était tombé dans le professorat comme on tombe d’une chaise, et n’en avait donc pas retiré d’enseignement particulier dont il aurait pu faire part publiquement. Il s’était tourné vers une carrière de précepteur parce que c’était pratique, et n’avait pas souffert de son choix. C’était là tout ce qu’il y avait à déclarer. C’était bien, c’était pas mal, c’était gratifiant, à l’image d’un nombre considérable d’autres occupations professionnelles.

Le professeur n’eut, de toutes manières, pas vraiment le temps de répondre aux questions de son élève. Déjà, Mathéo était passé à autre chose, vilipendant les injonctions à la perfection qui lui alourdissaient les épaules, se rebellant contre le poids des impératifs sociaux et familiaux qui recouvraient son désir de liberté. Il était en permanence à une tournure de phrase de crier sur les toits qu’on vivait vraiment dans une société, et ça amusait presque l’historien assis sur son muret.

Ce qu’il se produisit ensuite amusa beaucoup moins le professeur, qui s’en trouva soudainement dégrisé, ramené sur terre de manière violente et soudaine par un attentat des plus odieux. Stupéfait par le déversement complet du contenu de l’estomac de Mathéo sur ses chaussures cirées le matin même, Yukio en resta coi pendant près d’une dizaine de secondes, incapable de réaliser qu’on venait d’assassiner devant lui des œuvres d’art en cuir de veau pleine fleur aniline, sidéré par cet acte de terrorisme des plus innommables.

Lorsqu’il revint à lui-même, il fit un effort surhumain pour ne pas se jeter sur son vis-à-vis, dans un élan de vengeance sauvage et incontrôlé. Avec une voix aussi glaciale qu’orageuse, il laissa tomber, en égrenant les mots un à un :


- Vous avez raison. Je ne vous aime plus du tout.

Il n’en revenait pas. Le petit avait dégobillé sur ses Richelieus. Elles étaient impeccables ! La décision fut prise dans la fureur de l’instant : plus de sorties club dans une distillerie. Ce genre de choses était définitivement enterré, sous trente mètres cube de béton armé au besoin.

Il voulut fermer les yeux pour prendre une longue inspiration, en entretenant l’ambition de se calmer, mais sa volonté se retourna contre lui. L’air passant par son nez lui charria les effluves écœurantes de l’offrande originale qu’avait déposée Mathéo, provoquant chez lui une nausée particulièrement prononcée. Durant une fraction de seconde, il se demanda s’il n’allait pas, à son tour, rendre la pareille à son élève, mais il parvint à se contenir, plus pour lui-même que pour sa potentielle victime.

Il respira longuement, reprenant le contrôle sur ses haut-le-cœurs et son énervement.

Il était de toutes façons bien trop tard pour accuser qui que ce soit. Yukio posa le regard sur ses chaussures. Elles étaient mortes, tombées au champ d’honneur. Coller un coup de boule au môme n’y changerait plus rien. Il soupira.

Foutu pour foutu, il sortit de sa sacoche la bouteille d’alcool offerte en douce par Monsieur Sato, en fit sauter le bouchon, et en déversa le contenu sur ses chaussures, pour en nettoyer la surface. L’odeur de l’éthanol vint rapidement couvrir celle des sucs gastriques, et ses chaussures reprirent des couleurs. Forcément, ça couinerait sur le chemin du retour, mais honnêtement, au point où on en était.

Une fois qu’elle fut vide, le professeur se releva, et balança négligemment la bouteille dans la poubelle la plus proche. Ce n’était pas vraiment un contenant destiné au dépôt du verre, mais qui s’en souciait ? Il fit signe à Mathéo de le suivre, prenant le chemin du retour, et glissa, avec une voix à mi-chemin entre l’amertume et l’attachement :


- Allez Monsieur Pas-si-parfait, on se taille. Je vais garder tout ça pour moi. On a qu’à dire que vous m’en devez une niveau discrétion. Si je commence à raconter ça sur le campus, je sais pas vraiment lequel de nous deux aura le plus à perdre niveau crédibilité.

Il s’éloigna, le pas piaillant d’humidité dégorgée à chaque mouvement, sans vraiment vérifier qu’il était bel et bien suivi.







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Mathéo Takahashi
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Mer 7 Aoû 2024 - 23:52

Tourisme de précision pour amateurs avertis

17 février

Les yeux irrités par son propre rejet gastrique, Mathéo se releva.
Les deux jambes tremblantes, il tenta de retrouver un appui, enracinant ses pieds dans le sol pour ne pas vaciller de nouveau. La nausée qui lui troublait l’équilibre s’était évaporée aussi vite que de la buée étalée contre une fenêtre en plein soir d’hiver. Maintenant qu’était sorti ce qui lui pesait sur l’estomac, son pauvre corps in habitué s’en sentait mieux. Libéré. En serait-il de même pour son pauvre coeur s’il laissait s’envoler loin de lui le poison qui le lui rongeait ?… Peut-être, mais... c’était là chose impossible, n’est-ce pas ? Qui y avait-il pour l’écouter ? Qui pour comprendre ? Qui pour recevoir ces mots qui l’avaient tant blessé ? Qui pour entendre sa peine ? Qui pour le rassurer ? La solitude était plus douloureuse lorsqu’elle était nécessaire. Fatigué, il abandonna le muret pour suivre son enseignant. Il aurait pourtant préféré ne pas reprendre la route maintenant, s’asseoir sous un arbre pour s’y reposer quelques instants, lui qui n’avait déjà pas dormi de la nuit. Cette journée devenait bien trop intense pour son corps abîmé de tristesse et son esprit embrumé de détresse. A mesure qu’ils s’éloignaient, les yeux plantés sur les nuages au dessus de leurs têtes, Mathéo regrettait la compagnie du vieux Sato. Au moins, le vieil homme savait comment le tenir éloigné de ses pensées.  

Ogawa-sensei ne l’aimait plus du tout. Tant pis, lui non plus ne s’aimait plus du tout de toute façon. Depuis bien plus longtemps que lui d’ailleurs !… Et sans doute qu’il l’aimerait moins encore s’il savait ce qu’il était réellement. Sans doute qu’il lui en voudrait de lui avoir fait perdre son temps dans cette distillerie. Peut-être qu’il regretterait d’être son enseignant. Le faux bénévole l’avait traité de taré, de démon… « finis en enfer, mais évite d’embarquer les autres dans la descente » , ses paroles en échos retrouvaient le chemin de son esprit. Le coeur lui pinça. Ogawa-sensei avait beau être le plus étrange de ses professeurs, il l’appréciait tout de même. L’idée qu’il puisse éprouver à son égard la même haine que ce faux bénévole, que ce… ce malhonnête, ce gros c** ! Oui, il pouvait le penser : un connard. Pas fini… ou bien mal fini ! Hah… Peu importe à quel point la colère pouvait lui sembler être une douce amie légitime… ça ne changerait rien aux faits. Si Ogawa Sensei savait, s’il le trouvait monstrueux lui aussi, Mathéo n’était pas certain de pouvoir en essuyer le coup. Le référent pouvait bien raconter à la terre entière qu’il venait de vomir sur ses chaussures et qu’à cause de cela, on pouvait les suivre à la trace sur des kilomètres à la ronde, le couinement de ses chaussures plus efficace qu’une géolocalisation… Il n’en avait que faire. Il y avait plus immonde à exposer à la vue de tous, il y avait son secret. Ce secret qui lui donnait envie de vomir de lui-même.

Un rire triste lui échappa d’entre les lèvres, la mélodie de grâce des chaussures maltraitées du jeune professeur avait de quoi rendre cocasse les scènes les plus mélancoliques du cinéma sous la pluie. Seulement, le rire n’empêcha pas les larmes de couler le long de ses joues. Lasse, il en essuya les premiers ruisseaux d’un coup de manche. C’était stupide. Tout simplement stupide. A quoi bon pleurer maintenant ? Pourquoi ici et maintenant ? Qu’est-ce que cela changerait ? Rien. Il le savait bien. La fatigue emportait malheureusement ce qu’il restait de sa raison. Pressant le pas, il rejoignit l’enseignant.

« Ogawa-sensei… même si vous finissez par me détester vous aussi… Je resterai un de vos meilleurs étudiants. Non... Le meilleur. Pour que vous ne vous souveniez que de ça. »

La voix enraillée, il baissa les yeux sur les couineuses. « Et je vous rachèterais des chaussures lorsque je gagnerai assez d’argent pour. Même si vous n'en voulez pas. ».





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