Un billet de 1000 yens, plaqué sous sa chaussure. Ena l’observe, lasse, depuis le bord du trottoir. Assit dessus, il fume, à l’extérieur du campus. La saison des pluies a commencé depuis quelques jours mais le temps est clément pour l’instant, il fait beau. Lourd, mais beau. Il faut qu’il en profite, fumer sera une vraie galère ensuite.

Il s’ennuie. Ce billet ne lui est d’aucune utilité, il a déjà bien plus d’argent qu’il ne lui en faut mais il l’intrigue. Qu’est-ce qu’il pourrait en faire ? Ce n’est pas tous les jours qu’on trouve un billet de 1000 yens dans la rue. Il faudrait qu’il demande à Hiro… mais il est occupé. Haaah, il soupire et l’attrape pour mieux le regarder. Il est en bon état, quelqu’un a du le perdre il y a peu. Serait-ce son jour de chance ? Il écrase son mégot de cigarette contre le sol et se lève pour le jeter à la poubelle. On va voir ça ! Il rentre au campus, le poids de l’ennui accroché aux chevilles, il se traîne. Il fait si beau, il aimerait sortir. Faire quelque chose qui sorte de l'ordinaire. Embarquer Hiro dans de folles aventures malgré lui… Haaaah. Il re soupire. Son frère lui manque. Il hait leur père. Il leur vole déjà leur vie, il est vraiment obligé de leur voler leur adolescence ? Il déteste le savoir en « cours particulier » avec le vieux. Ça lui fout une mort abominable. Une jalousie monstrueuse. Hiro est à lui. Seulement à lui. Putain.

Et pourquoi est-ce qu’il n’y a personne pour l’occuper aujourd’hui ?! Où sont passés tous ses jouets ?? Est-ce qu’on l’évite encore ? Il attrape son téléphone et ses écouteurs, lance de la musique. Pas le temps d’y penser. Pas envie.

She was more like a beauty queen from a movie scene
I said don't mind, but what do you mean, I am the one

Il cherche des yeux quelqu’un vers qui aller, un visage familier. Il n’est pas d’humeur pour de nouvelles rencontres. Les couloirs du lycée sont vides sans les classes à occuper. Il retourne vers les dortoirs. Là, il repense à Hiro. Bordel. Hors de question qu’il tourne en rond comme un chat enragé autour de lui. Il se dirige vers le parc. Que quelqu’un l’occupe, il prend tout, n’importe qui, n’importe quand, pour n’importe quoi ! Oh. En voilà un. Assise sur le banc, Nakajima-san semble étudier. Il s’élance à demi, s’arrête en pleine lancée. Ils se connaissent du club de aventuriers mais pas assez pour qu’elle accepte de lâcher ses bouquins pour lui… Hm… Réfléchis Ena. Ses yeux louchent sur son billet de 1000 Yens, il tire un peu dessus pour faire vibrer le papier. Réfléchis… réfléchis… Ah ! Il passe une main sur son visage, dévoré par un sourire des plus machiavéliques, quel génie il est ! Il bondit sur ses pieds et cours à toute vitesse jusqu’à elle.

And mother always told me be careful of who you love
And be careful of what you do 'cause the lie becomes the truth

Petit dérapage pour s’arrêter devant, il défait ses écouteurs et cogne une main contre le bois du banc pour y prendre appuie.

« MAKAAA-CHAN ! Ma petite fleur de miel ! »

Un grand sourire découvre ses dents. « Je te cherchais !! J’ai découvert un truc incroyable !! »

Hop, il pose ses fesses à côté d’elle et attrape ce qu’elle a dans les mains pour le lui faire poser. Il a besoin de toute son attention, l’heure est grave ! Il plaque son index sur ses lèvres pour empêcher toutes représailles directes : « Chuuuuut, écoute moi ! ». Un petit éclaircissement de la voix et il se lance dans son speach merveilleux. « Figure toi que j’ai découvert un parc en ville qui abrite une espèce de papillon magique ! Ouais, je sais, moi aussi au début je pensais que c’était des conneries ! Mais j’ai quand même été vérifier ! J’suis dans le club des aventuriers quoi ! J’ai été jusqu’au parc ce matin, j’ai cherché pendant des heures ce foutu papillon magique ET JE L’AI VUUU. ». Il lui agite son billet de 1000 Yens devant les yeux avec fierté. Comme s'il s'agissait d'un truc extraordinaire. « Il crée des billets de 1000 yens, ma prunelle des îles ! Tu te rends compte ?! De vrais billets ! Tiens, prends-le, regard ! ». Ni une ni deux, il lui glisse le billet dans les mains. « J’avais pas ce qu’il fallait pour l’attraper alors je suis revenu m’équiper, tu viens avec moi, hein ?? Faut y aller maintenant ! Tant qu’il pleut pas ! »

Le poisson a mordu à l’hameçon. Incroyable ! Ena n’en revient pas. Cette petite a plus de potentiel qu’il ne le pensait ! Maka se met debout sur le banc et il jubile en l’entendant. Elle est totalement perchée. Franchement bonne pour l’asile. Il A-D-O-R-E.

« Y’en a qu’un seul. L’unique. THE ONE. » il répond d’abord, de son accent parfaitement british. Elle enchaîne les questions alors il répond du tac au tac, impro’ complet. On y va au talent ! « Il apparaît seulement s’il fait jour ! L’histoire de la nuit, c’est que dans les contes Makaille d’amour, voyons. ». Est-ce qu’il brille ? « Nope ! Un papillon tout c’qui a de plus classique ». La lycéenne lui sort sa liste d’objets mystiques, il ricane. Quelle tarée ! Qui se balade avec du sel et du vinaigre ? De l’eau bénite ?? Où est-ce qu’elle a trouvé ça ? Elle descend de son estrade et le pousse hors du banc, il explose littéralement de rire, ça en est trop pour lui. Pourquoi est-ce qu’elle veut ramasser des fleurs ?? Elle compte faire une salade ?! « On va pas le manger en vinaigrette ! Hahaha »

Il est content de lui être tombé dessus, c’est tout ce dont il a besoin pour oublier son frère. ARGH. Non, il y repense maintenant ! Aaaah !!! Il se demande s’il pense à lui aussi. Est-ce qu’il est fatigué ? Il en a sûrement marre. C’est tout lui ça, se forcer jusqu’à l’épuisement. Raaaaaah ! Sors de cette tête Hiro ! D’un coup, il pivote pour attraper Nakajima-san par les épaules, l’air drôlement sérieux soudainement. « T’es la meilleure, ma jolie fée ! » SMACK, il lui colle un bisou sur la joue. Le bruit a de quoi réveiller un mort ! Embrasser une fille, même sur la joue, ça réveille toujours. Il lui attrape la main pour la tirer subitement vers les dortoirs. La course commence, HiiiiiiiAaaahhh ! En avant pour l’aventure ! « Je comptais prendre un sac plastique mais si t’as un filet de pêche c’est bien mieux ! Il nous faut un carnet et des crayons pour noter les indices qu’on trouvera sur son habitat ! Oh et prend une gomme aussi ! Pour le reconnaître, c’est simple : il a une petite tâche sur les ailes, en forme de « H ». Mais la seule façon d’être vraiment sûr que ce soit lui, c’est s’il lâche un billet, comme ce matin ! ». Ils prennent un virage et s’engouffrent dans les dortoirs, le moins discrètement du monde. Ena les stoppe à la croisée de leur chemin : Maka doit aller chez les filles, lui doit affronter son envie de foutre un coup de pied dans l’ordi d’Hiro. « Bon ! On a 5min top chrono : carnet, crayon, bouteille d’eau, filet de pêche et porte monnaie – pour ramasser les caca du papillon. Let’s go ! ».

Il détale jusqu’à sa chambre. Une fois devant la porte, anges et démons le tiraillent : est-ce qu’il entre comme un bourrin pour emmerder son père ou pas ? L’envie le démange mais quand sa main touche la poignée, prête à l’enfoncer, il se ravise. Ça ne plaira pas à Hiro… Hah… Il respire un coup pour se calmer et entre sagement dans la chambre. Un petit signe de tête et un baiser envoyé de la main, il salut son frère avant de s’accroupir pour ne pas passer à la caméra. Leur père s’en fiche royalement de lui, il sait bien, mais des fois qu’il décide de se rappeler qu’il existe, il préfère éviter de se faire bloquer. Tel un ninja, il se dandine au sol et se faufile. Il attrape son sac à dos, le vide sur son lit et le remplit avec tout ce dont il a besoin. Le voilà paré pour l’aventure ! Avant de repartir, il jette un regard à son frère… ça le tue d’être si impuissant. Le temps passe il a l’impression qu’Hiro pourrait lui filer entre les doigts. Est-ce qu’il aura le temps de régler ça avant la fin de leurs études ? Il quitte la chambre, l’esprit nuageux. Heureusement, Maka est là pour lui changer les idées. « Etes-vous prête agent choupinette ? On y va ?! »