Une stalkeuse sachant stalker doit savoir stalker sa coloc
Comme à son habitude, Rindo n'avait pas mâchée ses mots pour aller droit au but sans prendre de pincettes ou tourner bêtement autour du pot pour enjoliver ses propos en espérant naïvement que le même message passerait mieux ainsi et serait mieux interprété de cette façon. À ses yeux, si la tournure du message qu'elle cherche à passer change la façon dont il est reçu, c'est qu'il est tout simplement pas passé du tout. Et pour faire une chose pareille, il vaut mieux ne même pas essayer de passer de message, que ce soit pour exprimer quelque chose de cinglant ou blessant avec une attitude si franche, ou bien des mots encourageants. Alya avait au moins le mérite d'être une amie de Rindo, sans doute même sa plus proche amie ici à Kobe, alors elle avait droit au traitement de faveur miraculeux d'entendre Rindo exprimer si clairement à quel point elle l'apprécie. Mais les mots empreints de gentillesse que la stalkeuse finissait par offrir à son amie n'avaient absolument pas pour but de faire passer la pilule ou d'essayer de finir sur une bonne note pour qu'Alya ne retienne que ça. En fait, avant même de les prononcer, la Tokyoïte savait déjà pertinemment quelle réponse Alya allait lui offrir... Ou plutôt, quel regard elle allait lui offrir. Ce regard foudroyant, LE regard d'Alya qui regarde quelque chose qui lui déplaît avec une aversion inimitable laissant ressentir toute son hostilité en fusillant cette chose du regard avec plus d'ardeur et d'impact qu'une vraie arme à feu fusillant littéralement sa cible... Ce regard qui n'avait cependant aucun effet sur l'indifférence que Rindo lui rendit en y faisant face, assumant absolument tous ses mots sans sourciller ou ne serait-ce que prétendre s'être mal exprimée ou chercher à se racheter, la basketteuse l'avait déjà visualisé avant même qu'Alya ne le dessine sur son visage. Elle la connaissait par cœur sur ce point, et Alya devait suffisamment connaître Rindo en retour pour savoir que son regard n'aurait aucun impact... Mais il n'y avait aucun doute sur le fait que le visage de l'aigri agissait de lui-même.
Contrairement à la Alya rendue rigide par les mots de Rindo, celle-ci lui fit face en silence, n'attendant que de l'entendre rebondir sur ce qu'elle lui avait dit. Face à cette Alya plus tendue qu'un élastique sur le point de rompre et de relâcher toutes ses émotions, Rindo se tenait dans la même posture, glissant ses doigts le long de sa canette pour la saisir plus fermement et la porter à ses lèvres, buvant une longue gorgée avant de poser son regard ocre sur les yeux belliqueux de son amie. Elle l'avisait ainsi, comme si ses dons de stalkeuse lui permettaient de lire en elle comme dans un livre ouvert, bien qu'Alya soit l'une des seules personnes dont Rindo avait du mal à comprendre les émotions tant la carapace qu'elle s'était forgée était solide et quasiment imperméable. C'est devant cette carapace impénétrable même pour la plus grande des stalkeuses de Kobe que son amitié prit le relais. L'œil avisé de Rindo voyait presque tout, son mental quelque peu déréglé lui permettait de lire ce qu'elle ne devrait normalement pas lire, mais elle avait une deuxième corde toute aussi efficace à son arc ne servant qu'à être utilisée face à une poignée de personnes. Une poignée de personnes que Rindo pourrait compter sur les doigts d'une main et dont Alya faisait partie.
En voyant les épaules d'Alya s'affaiser sur le dossier de son banc, son regard rempli d'aigreur laissant discrètement place à un visage abattu alors que le buste de la britannique semblait s'effondrer sur lui-même pour accompagner sa voix tremblante, Rindo ressentait assez d'affection envers cette fille pour ne pas rester indifférente face à ça et comprendre qu'elle était enfin sur le point de craquer et déballer tout ce qu'elle a sur le coeur. Ou presque tout. Ou même une infime partie suffirait à faire plaisir à Rindo, de voir son amie se lâcher enfin en brisant sa carapace de l'intérieur pour daigner s'ouvrir à quelqu'un et arrêter de se cacher derrière cette façade.
« Je sais... Je sais bien. Enfin moi, j'aurais pas dit que j'ai inventé un palmarès, j'aurais juste dit : "Eh mec, tu crois que t'es le premier ? Bah non, car au lycée, je suis sortie avec un type qui.." Je sais que c'est merdique, et que j'ai essayé de me convaincre que ça ne l'était pas... Sérieusement. Regarde-moi ? Je fais du sport tout le temps, je m'isole des autres en les méprisant parce qu'ils sont trop cons aussi, mais... j'ai envie qu'on m'approche. J'aurais voulu que ce futur mec me voie comme quelqu'un de "fun" qui a su s'amuser au lycée. Au lieu de quoi, il se farcira Alya l'aigrie. Youhou. »
Et quel sac qu'elle s'était mise à déballer. Venant d'Alya, c'était plutôt impressionnant qu'elle en vienne à mettre des mots sur toutes ces choses qui lui taraudaient l'esprit depuis sans doute trop d'années sans qu'elle ne préfère garder le silence en répondant d'un unique regard d'aigreur ou qu'elle dise à son interlocutrice de se mêler de ses affaires. Enfin, dire à Rindo de se mêler de ses affaires, ce serait aussi pertinent que de dire à un animal affamé de ne pas toucher à sa gamelle. La stalkeuse avait certes assez d'affection et de respect envers Alya pour ne pas chercher à creuser plus loin auprès d'elle si elle le lui demandait, mais rien ne l'empêcherait d'aller chercher ses infos par elle-même ensuite. Et c'était potentiellement ce à quoi Alya avait pensée pour prendre la décision de se confier à elle. Peut-être n'avait-elle tout simplement pas envie de sentir le regard de Rindo peser sur elle au détour d'une ruelle. Alors qu'en l'occurence, Rindo se contentait de l'écouter en silence tout en quittant Alya des yeux, ses iris se posant sur le banc vers lequel la rousse s'avança à son tour, mimant la britannique un instant plus tôt en posant son pied sur le banc afin de se surélever sur celui-ci et venir s'asseoir directement sur le dossier, en équilibre sur ce rebord étroit.
« Et tu penses pas que ce futur mec il en aura rien à faire que tu sois quelqu'un de fun qui s'est amusée au lycée ? » demanda-t-elle subitement d'une voix harassée en insistant dans un timbre plus élevé sur le mot "amusé". « Je prétendrai pas m'y connaître en homme, mais je pense pas qu'ils soient tous aveugles et débiles au point de s'arrêter sur des broutilles pareilles. T'es peut-être aigrie et difficile à cerner, même pour moi, mais ça fait longtemps que je me serais détachée de toi si tu n'étais rien de plus qu'une fille aigrie sans intérêt. »
Et elle ne se foutait absolument pas de sa gueule en disant qu'elle ne s'y connaissait pas en homme. Surtout que l'homme dont Rindo était le plus proche, c'était un lâche distribuant les faux sourires à la pelle et qui ne montrait son vrai visage de mec fiable et courageux que lorsqu'il se retrouvait dans une ruelle de nuit avec un type agitant un couteau en les menaçant de les faire disparaître. Nan, les hommes étaient clairement un mystère pour Rindo, mais elle restait très sûre d'elle sur ce point. Si la furie en personne avait réussie à aimer cette aigrie comme elle avait rarement aimée d'autres amies, elle ne doutait pas un seul instant qu'un mec y parviendrait. Mais elle savait surtout qu'elle ne ferait pas entrer une telle chose si facilement dans le crâne d'Alya. Que tout comme la nuit qui les entourait, éclairée par la lueur de la lune qui n'avait pour aide que les néons du distributeurs automatiques éclairant la peau des deux femmes, l'esprit d'Alya était plongé dans une tourmente embrumant chacunes de ses décisions. Un abîme si profond dans lequel elle s'était engouffrée au point que sa voix en vienne à se briser au cours de leur discussion, des remontrances de Rindo et de ses explications. Il ne fallait rien de plus qu'un tout petit peu de jugeotte pour savoir qu'une carapace dressée si solidement autour d'une personne ne servait qu'à se protéger de plus de souffrances et de combattre une sorte de peur vis-à-vis de ce qu'elle aurait à encaisser des autres.
Pourtant, sa voix qui ponctuait une phrase en se brisant donnait l'impression à Rindo de n'avoir jamais réfléchie à une telle chose, ou du moins de ne pas avoir estimée correctement l'impact qu'avait cette armure sur la femme à l'intérieur. Alya était une femme forte aux yeux de Rindo, une femme forte qui avait toutefois eu besoin de se créer une telle défense parce-qu'elle avait ses propres faiblesses comme tous les êtres humains. Mais une femme forte quand-même, qui parvint à créer une empathie dans le cœur de Rindo en voyant son amie sur le point de craquer. En arriver là ne pouvait qu'apporter du bon, mais ça restait quelque chose de difficile à traverser. Et malgré son honnêteté indécente, la furie eu un moment de doute en regardant Alya. Un moment durant lequel elle se pencha légèrement vers l'avant pour venir poser sa canette sur le banc à ses pieds, déplaçant ses bras d'une façon presque hésitante avant que la voix d'Alya vienne briser à nouveau le calme nocturne.
« Tu crois vraiment que quelqu'un aimera... ça, un jour ? Une meuf pas foutue d'ouvrir son cœur parce qu'elle a peur ? Merci, mais non merci... Même moi, je n'aurais pas la patience pour quiconque. »
Les yeux de la tokyoïte se posèrent sur Alya alors qu'elle s'exprimait tout en faisant des gestes pour accompagner ses mots et indiquer clairement qu'elle s'annonçait elle-même à travers le terme "ça". Alors même que la lueur de la lune se reflétait sur les cheveux d'Alya en la faisant briller comme elle le méritait sans même qu'elle ne s'en rende compte.
« Ça ? »
Rindo exprimait cet unique mot d'une voix abrupte, parfaitement ferme et presque offensée en entendant son amie se qualifier de ce terme si réducteur. Sur le coup, elle avait envie de chopper Alya, lui ouvrir le crâne, et dire à son cerveau qu'il devrait mieux parler de sa pote s'il veut pas qu'elle le défonce. Mais n'étant pas convaincue de l'efficacité d'une telle idée et encore moins du taux de survie d'Alya si elle venait à la mettre à exécution, elle glissa plutôt le long du dossier pour se rapprocher d'Alya d'une petite impulsion des pieds. Elle même n'était pas très tactile, elle n'aimait pas, mais alors pas du tout qu'on la touche sans prévenir, même si elle commençait à s'habituer aux étreintes soudaines et trop fréquentes de leur chère assistante sociale. Et connaissant Alya, la furie s'était même dit pendant un instant que c'était clairement ce que l'on appelle communément une idée de merde. Son corps vint toutefois agir de lui-même, son bras venant passer autour des épaules d'Alya pour la serrer doucement, sans la brusquer ni même donner l'impression de la prendre dans une cage de laquelle elle ne pourrait pas s'extirper. Elle en venait même à se demander si elle n'avait pas attrapée une Arizonaïte aiguë l'ayant transformée en une femme beaucoup trop tactile.
« Moi ce que je vois c'est une femme forte et indépendante, sûre d'elle et dévouée à ce qui lui tient à cœur. Quelqu'un qui en veut toujours plus et qui cherche constamment à se dépasser parce-qu'elle sait qu'elle est capable de toujours aller plus loin. »
Elle n'aurait jamais imaginée pouvoir trouver autant de qualités à quelqu'un d'autre que Futaba, ni même avoir l'occasion de les énumérer ainsi, et le fait qu'elle le fasse pour cette aigrie attachante d'Alya rendait le sentiment de Rindo encore plus fort. Mais après avoir enchaînée autant de qualités qu'elle trouvait à Alya, en en gardant même quelques unes en réserves pour pas rendre ce moment trop awkward en listant bêtement des qualités pendant bien trop longtemps, l'étreinte de Rindo vint se défaire pour la laisser reprendre une posture plus adéquate, regardant alors Alya avec un sourire aux lèvres.
« Alors si tu veux vraiment mon avis, oui, je suis sûre et certaine que quelqu'un aimera "ça" un jour. Et que tu arriveras à lui ouvrir ton cœur même si ça te fait peur. »
Son sourire sincère jusque là laissa ensuite place à un sourire plus amusé servant à retenir un petit rire, à la fois pour vivifier l'atmosphère que pour détendre le moindre doute que pourrait avoir Alya après avoir subie l'étreinte d'une stalkeuse. Sa voix prit un timbre bien moins sérieux que celui qu'elle avait jusqu'ici, ses bras s'écartant un peu alors qu'elle se mit à tenir en équilibre sur le dossier du banc.
« Enfin, t'inquiète pas, le mien est toujours à Futaba ! C'est pas parce-que j'ai été sympa que je vais te regarder dormir la nuit ! »
Codage par Libella sur Graphiorum
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